WAN
menu
 
!
L'info stratégique
en temps réel
menu
recherche
recherche

éditorial / Yves de Kerdrel

éditorial
Yves de Kerdrel

éditorial
Être et avoir été
par Yves de Kerdrel

La publication du livre de Bruno Le Maire suggérant de s’attaquer à certains excès de l’État-providence est intervenue le jour même où le Chef de l’État a convoqué un dîner de crise à Matignon sur les finances publiques. Le dérapage du déficit budgétaire a été tel en 2023 que la crédibilité de la parole publique sur ces sujets est menacée. Vis-à-vis de Bruxelles. Vis-à-vis des agences de notation. Et peut-être un jour vis-à-vis des marchés.

24/03/2024 - 06:30 Lecture 10 mn.

Bruno Le Maire a donc publié un nouvel ouvrage, mercredi dernier, édité par Sophie de Closets, chez Flammarion, filiale de Gallimard, son éditeur habituel. Cet opus que certains présentent comme un livre destiné à poser sa candidature à la prochaine élection présidentielle a le mérite de ne pas être péremptoire, mais de chercher à ouvrir des débats.

Le locataire de Bercy pose ainsi la question de l’emploi des seniors, de l’emploi des jeunes, et de notre capacité à atteindre le plein-emploi. Mais aussi celle du salaire minimum dans le sillage des propos de Gabriel Attal sur la nécessité de désmicardiser la France. Il ouvre (enfin !) le débat de la retraite par capitalisation. Mais les deux sujets soulignés par les politiques ou les médias, tiennent à sa volonté de passer d’un "État-providence" à un "état-protecteur" et de trouver les moyens de désendetter la France et de réduire la dépense publique.

 

Conversion tardive

 

Le Ministre de l’Économie ne se pose pas la question chère à Hamlet : "Être ou ne pas être". Son sujet, en quelque sorte, c’est : "Être et avoir été". Être le chantre du désendettement après avoir été le ministre de l’Économie qui a contribué à accroître la dette du pays de 750 milliards d’euros en sept ans. Être le parangon d’une certaine rigueur à un moment où l’on attend de savoir l’ampleur du dérapage de notre déficit budgétaire (attendu autour de 5,6 % du PIB au lieu de 4,9 % et de 5,9 % en 2025…). Être celui qui ose s’attaquer à ce "modèle-social-que-le-monde-entier-nous-envie" alors qu’en bon "chiraquien" il a toujours défendu ce totem issu du Conseil National de la Résistance.

Le libéral économique et sociétal qui écrit ces lignes a bien sûr savouré tous les chapitres de "la Voie française" et le zèle de cette conversion à une juste rigueur. Avec un bémol toutefois. À un moment où il va falloir chercher des coupes budgétaires importantes, et donc imposer des sacrifices aux Français, il nous semble difficile que cet effort soit supporté uniquement par les chômeurs, les malades ou les plus jeunes. L’équité qui est nécessaire à l’acceptation de mesures difficiles oblige à solliciter aussi les entreprises et les hauts revenus.

 

Un dîner pour rien

 

L’heure est donc à rechercher partout des pistes d’économies alors que dans un mois – le 26 avril – Moody’s et Fitch livreront leur nouvelle note sur la dette française et nos perspectives budgétaires. C’est ce qui a justifié la tenue d’un dîner ad hoc à l’Élysée, mercredi dernier. Autour de la table se trouvaient Gabriel Attal, Bruno Le Maire, Thomas Cazenave, Christophe Béchu, Catherine Vautrin, Yaël Braun-Pivet, les chefs de partis de la majorité présidentielle, à l’exception d’Édouard Philippe en déplacement outre-mer, et les patrons de groupes de l’Assemblée et du Sénat.

Convoqué à 21 heures, le dîner n’a commencé qu’autour de 22 heures en raison du traditionnel retard du président de la République. Pas grand-chose n’a filtré de ces agapes. Si ce n’est que le Premier Ministre s’est montré opposé à tout budget rectificatif. Et pour cause, il semblerait que Les républicains seraient désormais prêts à voter une motion de censure en cas de 49-3, étant persuadés qu’Emmanuel Macron ne prendra pas le risque de dissoudre l’assemblée. De leur côté les personnalités les plus "à gauche" de ce dîner, comme Sylvain Maillard ou Yaël Braun-Pivet ont demandé que l’on ne ferme pas à la porte à des augmentations d’impôts ou à des moindres exonérations de charges pour les entreprises.

 

Contrôle sur pièces

 

Ce qui est sûr, c’est que nous sommes entrés dans une séquence budgétaire intense. Puisque c’est après-demain, mardi 26 mars, à l’aube que l’Insee communiquera à la fois l’ampleur du déficit public (en exécution) pour 2023 et le montant de la dette publique au 31 décembre dernier. Bruno Le Maire avait déjà préparé le terrain il y a quelques semaines à des mauvaises nouvelles en évoquant un déficit "significativement" au-dessus de l’objectif de 4,9 % du PIB. D’aucuns estimaient alors que la dérive pourrait l’amener à 5,3 %. Mais aujourd’hui le chiffre de 5,6 % parait plus probable.

Le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, Jean-François Husson, qui s’était violemment heurté à Bruno Le Maire, il y a trois semaines, a utilisé l’une des prérogatives offertes par la LOLF pour effectuer jeudi dernier un contrôle sur pièces à Bercy des informations officielles sur le déficit public. Le sénateur de Meurthe-et-Moselle a expliqué que ce déplacement inhabituel visait à obtenir "communication de l’ensemble des notes et documents produits par les services de Bercy et expliquant cette dégradation et à obtenir des réponses aux nombreuses questions qu’elle pose". Il cherche notamment à savoir depuis quand cette dégradation est connue par les ministres concernés. À l’occasion de ce contrôle, le sénateur est donc tombé sur une récente note émanant de la direction du Budget dans laquelle était mentionné un déficit public de 5,6 % du PIB pour 2023, de 5,7 % pour 2024 et de 5,9 % pour 2025… !

 

L’alerte de Moscovici

 

Les sénateurs sont d’autant plus remontés sur ce sujet qu’ils ont été force de proposition, lors de la dernière session budgétaire en matière d’économies. Par ailleurs ils ont auditionné Pierre Moscovici, le premier Président de la Cour des Comptes il y a quelques jours qui a tenu un discours alarmiste, évoquant une situation "préoccupante" des finances publiques. L’ancien commissaire européen leur a expliqué que "2023 a été, au mieux, une année blanche", ajoutant qu’elle a même été "pire que 2022". "Cela n’a pas été la fin du "quoi qu’il en coûte" a-t-il déclaré. Si bien que selon lui "la marche pour 2024 est d’autant plus haute".

Il a par ailleurs estimé ne pas être certain que les 10 milliards d’euros d’économies soient suffisants, ajoutant que nous avons désormais un problème de crédibilité en Europe". Enfin, il a jugé la trajectoire fixée par la loi de programmation des finances publiques "peu ambitieuse et très fragile", affirmant qu’elle "repose sur des efforts d’économies sans précédent", qui ne sont "ni documentées ni étayées".

 

Le déni français

 

Tout le monde est donc d’accord pour dire que nos finances publiques vont dans le mur et que la dégradation de la note de la France, à quelques semaines des élections européennes, sera dramatique et apportera de l’eau au moulin des mouvements populistes. Tout le monde s’accorde aussi à dire que la remise en cause de la politique fiscale menée tant à l’égard des ménages que des entreprises et qui est le fondement de la politique de l’offre en place depuis dix ans, serait catastrophique. Cette contradiction pourrait donner lieu à un énième livre qui aurait pour titre "l’impasse française" et non "la voie française". Ou simplement une réédition du très bon livre écrit il y a douze ans déjà… par notre consœur de The Economist, Sophie Pedder : "Le déni français".

Et avec cela il y a un étrange paradoxe qui fait, qu’en dépit de notre incapacité à respecter nos engagements budgétaires, le taux de rendement de l’OAT à dix ans est inférieur de 70 points à ce qu’il était il y a six mois. C’est à se demander s’il ne faudrait pas qu’il se passe un choc sur ce taux, comme cela a été le cas en Italie à l’automne 2011. Ce qui avait obligé Mario Monti à reprendre la barre de chef du gouvernement et à cumuler ce poste avec celui de ministre de l’Économie. Notre malheur tient peut-être au fait de n’avoir jamais eu de comptes à rendre au marché, et aux investisseurs. Alors que l’Italie aujourd’hui affiche un excédent primaire de ses comptes publics. Une situation que Bruno Le Maire serait bien heureux de pouvoir afficher comme Ministre de l’Économie.

précédents ÉDITORIAUX
précédents
ÉDITORIAUX

Éditorial / Yves de Kerdrel

Éditorial / Confusion générale

17/03/2024 - 06:30

Éditorial / Yves de Kerdrel

Éditorial / Panique à Bercy

10/03/2024 - 06:30

Les chroniques de la semaine
Les chroniques
de la semaine

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Israël : la guerre sans fin

23/03/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Haïti s’enfonce dans l’horreur

16/03/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / L’Ukraine : un miroir pour la France

09/03/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / La fermeture du monde

02/03/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Ukraine : An III et impasses multiples

24/02/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / L’Ukraine cherche des soutiens en Europe

17/02/2024 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Sénégal : la détresse de la perle de l’Afrique

10/02/2024 - 08:30