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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Fractures Françaises
par Yves de Kerdrel

Le premier tour de l’élection présidentielle a fait apparaître que la France libérale, européenne et progressiste ne représente que 32,6 % des électeurs. Un autre tiers est constitué de toute la gauche et des écologistes. Un troisième tiers regroupe toute l’extrême droite et les souverainistes. Cela n’empêchera pas les reports de voix de bien fonctionner au profit d’Emmanuel Macron. Mais son second mandat se fera sous le signe de ces très profondes fractures françaises.

17/04/2022 - 06:30 Lecture 13 mn.

Le premier tour de l’élection présidentielle n’a pas fait ressortir de surprise concernant les deux candidats de tête, Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Les instituts de sondage – que nous avions cités dans ces colonnes – ont fourni au cours de la dernière semaine de la campagne électorale des résultats très proches de ceux que nous avons découverts dimanche dernier à 20 heures. Y compris en ce qui concerne l’abstention.

En revanche ce scrutin avait son lot de surprises, avec le score très élevé de Jean-Luc Mélenchon qui a bénéficié à la fois d’un vote utile, d’un vote jeune très élevé et d’un vote "bobo" avec un score très élevé dans le sixième arrondissement de Paris ou dans le neuvième, ainsi que dans des villes comme Bordeaux, Rennes ou Nantes. Mais la France pauvre (revenu inférieur à 1 250 euros par mois) a voté à hauteur de 32 % pour Marine Le Pen, et seulement 28 % pour le leader de la France Insoumise.

 

La droite enterrée sans fleurs ni couronnes

 

Si le score d’Anne Hidalgo n’a pas constitué de surprise majeure, en revanche celui de Valérie Pécresse (4,8 %), soit la moitié de ce qu’annonçaient les sondages a été le principal évènement de ce scrutin. Les deux grands partis de gouvernement qui ont dirigé la France pendant cinquante ans représentent aujourd’hui, en cumulé, à peine 7 % du corps électoral. C’est-à-dire moins de deux millions de votes.

Le dynamitage du corps électoral que souhaitait tant réaliser Emmanuel Macron en 2017 a réussi au-delà de ses espérances, quitte à réduire ses réserves de voix pour le second tour. Dès le 10 avril dernier près de 60 % de l’électorat de François Fillon a voté directement pour Emmanuel Macron. La droite a vécu, car être de droite ne signifie plus rien. Dans un pays marqué par la montée des crispations, le courage de la nuance a disparu et les électeurs de gauche votent à l’extrême gauche pour un ami de Monsieur Chavez qui a réussi à ruiner l’un des pays les plus riches de l’Amérique du Sud, le Venezuela. De même que ceux qui se prétendent encore de droite ont voté pour des personnalités qui incarnent l’extrême-droite… ou bien ils ont voté pour cet homme de centre droit qu’est Emmanuel Macron.

 

Zemmour : un Général Boulanger de pacotille

 

La dernière surprise, plutôt réjouissante, c’est que celui qui se voulait comme le nouveau trublion de la politique française, Éric Zemmour, a eu le destin qu’il méritait en rejoignant le magasin des accessoires. Certes, à la différence de Valérie Pécresse ses frais de campagne seront remboursés. Mais il n’a pas même été à la hauteur du triste Général Boulanger en ratant son coup d’éclat populiste.

Il promet de recomposer la droite, dans le sillage d’une inévitable disparition du parti des Républicains après le second tour. Il promet aussi d’avoir des députés lors des législatives qui auront lieu auront lieu les 12 et 19 juin prochains. Mais, lui-même arrivera-t-il seulement à trouver une circonscription qui lui permette de faire son entrée à l’Assemblée nationale ? Ce n’est pas certain.

 

Le malheureux recul sur l’âge de la retraite

 

La semaine passée a vu Emmanuel Macron faire enfin campagne en allant au contact des Français. Ce qui lui a permis de mesurer le mécontentement qu’il inspirait. Tant sur sa manière de parler à ses compatriotes lorsqu’il voulait "emmerder les non-vaccinés" que sur son projet de retraite à 65 ans. Si personne n’a évoqué l’autre mesure phare de son programme, la conditionnalité du RSA à une activité de 15 à 20 heures par semaine, en revanche il a été largement pris à partie sur le relèvement de l’âge officiel de départ en retraite.

À tel point que dès lundi soir il commençait à faire marche arrière en ne parlant plus que d’un âge de 64 ans. Ce virage "sur l’aile" avait un petit air de panique. Et il n’est pas très bon pour optimiser les reports de voix de ce qu’il reste de droite libérale. Mais les stratèges de La République En Marche lui ont fait comprendre qu’il fallait essayer de récupérer le maximum de voix qui se sont portées sur Jean-Luc Mélenchon dimanche dernier. Le rolling Ipsos - Sopra Steria de samedi qui donne 55,5 % des voix au second tour à Emmanuel Macron prévoit qu’un tiers des électeurs de Jean-Luc Mélenchon voteront pour le Chef de l’État et 16 % pour Marine Le Pen. Mais plus de la moitié d’entre eux devraient aller à la pêche… Un autre sondage BVA pour RTL et Orange publié vendredi allait dans le même sens.

 

Marine Le Pen épuisée

 

Le point d’orgue de cette semaine politique sera bien sûr le traditionnel débat de l’entre-deux tours qui aura lieu ce mercredi 20 avril et qui sera animé par Gilles Bouleau pour TF1 et par Léa Salamé pour France 2. Anne-Sophie Lapix qui a toujours été une intervieweuse très pugnace de Marine Le Pen a été écartée à la demande de cette dernière, mais aussi d’Emmanuel Macron qu’elle avait égratigné pendant la crise sanitaire.

Marine Le Pen, que ses équipes disent être épuisée, a fait jeudi soir un rassemblement à Avignon, ville qui a placé en tête Jean-Luc Mélenchon. Son discours a été presque totalement consacré à la problématique du pouvoir d’achat. Et elle devait partir ce week-end se reposer dans une propriété de l’ouest de la France appartenant à l’un de ses proches afin de se reposer et de travailler en profondeur pour préparer le fameux débat. Des jeux de rôle sont même prévus avec différents contradicteurs afin de tester des formules – ce que l’on appelle des "punchline" - comme le fameux "vous n’avez pas le monopole du cœur" de Valéry Giscard d’Estaing adressé à François Mitterrand en 1974 ou le non moins célèbre "vous êtes l’homme du passif" du Premier Secrétaire du Parti Socialiste adressé à VGE en réponse à "vous êtes l’homme du passé" en mai 1981. Des phrases qui sont restées déterminantes pour départager ces deux fauves de la politique.

 

Un pays en colère

 

Si les marchés n’ont guère réagi à l’annonce des résultats du premier tour (on a même assisté à un resserrement du spread OAT-Bund) il n’en reste pas moins que la France risque de se réveiller de cette séquence électorale avec une sacrée "gueule de bois". Y compris si Emmanuel Macron est réélu très confortablement dimanche prochain.

Pourquoi ? tout simplement parce que le vote du premier tour – celui qui témoigne de l’adhésion à un programme – a montré que la France des réformes, celle de la construction européenne, du progrès économique, scientifique et social, et du libéralisme tant politique qu’économique n’était choisie par seulement 32,6 % de nos compatriotes. Par effet miroir, cela signifie que les deux tiers des Français incarnent un Pays en colère. Colère contre le désordre, le manque d’État, la question migratoire pour ceux qui votent à l’extrême droite. Colère contre les questions de déclassement, de pouvoir d’achat, de creusement des inégalités et d’inaction climatique pour ceux qui ont choisi la gauche et surtout l’extrême gauche.

 

La décomposition du pacte républicain

 

Cette opposition France libérale / France en colère n’est pas qu’une simple statistique. C’est le résultat de ces multiples fractures françaises que le Cevipof étudie régulièrement depuis des années et qui témoignent d’abord d’une décomposition du pacte social et républicain. L’école ne forme plus assez bien les jeunes pour qu’ils obtiennent les qualifications nécessaires de manière à constituer une réserve de talents pour les grandes entreprises mondialisées.

Si bien que les Français issus de la classe moyenne, dont le seul avenir se construit à travers leur progéniture, se rendent compte que leurs enfants vivront moins bien qu’eux dans un pays très endetté et sur une planète où les risques climatiques et géopolitiques sont immanents. Cette situation est inédite dans l’histoire de notre pays. Jusqu’ici en dépit des guerres, des changements de régime, et des bouleversements économiques, chaque génération de français savait que la génération suivante vivrait forcément mieux que la sienne. Aujourd’hui on estime qu’il faut cinq à six générations pour qu’une famille passe du statut de la classe ouvrière à celui de cadre. À cela s’est ajouté le creusement des inégalités – certes moins violent en France que dans les pays anglo-saxons – mais qui a redonné de l’oxygène à une extrême gauche qui avait disparu.

 

Les piliers de la prospérité en danger

 

Le symbole de cette situation s’est retrouvé dans l’occupation de la Sorbonne – sanctuaire de la France du savoir et des connaissances – par des étudiants ayant voté Mélenchon et ne voulant pas choisir entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Rien à voir avec la jeunesse de mai 1968 qui a dormi pendant des semaines dans le grand amphithéâtre de cette université symbolique. Eux ne voulaient pas d’une société de consommation. Ils affirmaient vouloir choisir quel sens donner à leur vie, mais ne pas être condamné à gagner de l’argent. Un demi-siècle plus tard, ils sont devenus à la fois bourrés de stock-options et plein de bonnes intentions pour l’environnement tout en roulant en Porsche Cayenne.

Ceux qui ont bloqué quelques jours la Sorbonne, mais aussi Sciences Po ou Normale Sup veulent tout simplement tirer un trait sur l’économie de marché, la libre circulation des biens et des hommes. Et à leur manière ils n’acceptent plus la démocratie en refusant de reconnaître le choix des électeurs pour le second tour. Cela fait plus de deux siècles que nous considérons comme des acquis le duo qui a fait la prospérité du monde occidental "démocratie / économie de marché". Et voici que ces deux piliers sont menacés à leur base, par ceux-là mêmes qui incarnent l’avenir de la France. Comme ils l’ont été en janvier 2021 aux États-Unis par la tentative d’assaut du Capitole. Voilà pourquoi, quel que soit le score d’Emmanuel Macron, dimanche prochain, son second mandat n’aura rien d’un long fleuve tranquille.

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