Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Jubilé de la Reine et survivance des nations
par Jean-Baptiste Noé
Le Royaume-Uni fête sa reine à la destinée hors du commun. Née sous l’Empire, fille du XIXe siècle anglais, elle se retrouve premier monarque du XXIe siècle, à la tête d’un Royaume-Uni et d’un Commonwealth qui ont bien changé depuis sa montée sur le trône. Elle a eu mille occasions de trébucher, voire de sombrer avec une institution qui étonne encore, mais qui demeure le ciment d’un royaume aux quatre nations. Le Jubilé de la Reine manifeste aussi cela : les nations ont survécu, en dépit de nombreuses prévisions d’éclatement.
Le Royaume-Uni n’est pas ce pays paisible que renvoient les photos des petits drapeaux agités à Londres, des goodies commémoratifs au goût douteux, des calmes plats des manoirs de campagne. Depuis les années 1950, le pays ressemble aussi à un royaume désuni, qui avait de nombreuses raisons d’éclater sous les forces centrifuges de ses nations. Le nationalisme gallois, virulent dans les années 1970, est aujourd'hui éteint et ne menace plus l’intégrité du Royaume.
L’indépendantisme écossais a été vaincu dans les urnes et même si une majorité d’Écossais était contre le Brexit, elle n’était pas nécessairement pour l’indépendance. La violente guerre civile qui a endeuillé l’Irlande, et par contrecoup l’Angleterre, durant plus de 20 ans, est désormais affaire du passé, même si les tensions demeurent. Ces affrontements entre nationalistes irlandais et unionistes furent une véritable guerre civile, avec ses attentats, ses meurtres d’officiels et de civils, ses répressions et ses drames. Quelque peu oubliées en France, ces années furent parmi les plus difficiles pour le Royaume, qui a néanmoins réussi à surmonter les divisions. Or rien n’était écrit d’avance et un éclatement du Royaume-Uni aurait pu être une possibilité.
Échec européen des régionalismes
Ailleurs aussi en Europe, le régionalisme a échoué. En Espagne, l’acmé de l’indépendantisme catalan est aujourd'hui passé, même si les mouvements nationalistes demeurent très forts. Le référendum de 2017 a profondément secoué la région ainsi que l’ensemble de l’Espagne. La crise politique fut d’une extrême violence, dans la rue et dans les familles. Un combat idéologique et passionnel qui a divisé et fracturé le pays, mais qui n’a pas abouti à son démembrement, grâce notamment à la gestion intelligente du roi Philippe VI.
Cinq ans plus tard, toutes les cicatrices ne sont pas refermées, loin de là, mais nombreux étaient ceux qui ne donnaient pas cher de l’unité espagnole et de la survie de la nation. Les scénarios du pire n’ont pas eu lieu. Ni la Catalogne ni le Pays basque n’ont fait sécession et les frontières sont restées intangibles. La nation espagnole s’est finalement révélée plus résistante que les nationalismes régionaux.
La Belgique est un autre pays qui ne s’est pas déchiré. Certes là aussi la fracture culturelle, sociologique, politique demeure vive entre Flamands et Wallons, mais l’enveloppe supérieure de la Belgique a pour l’instant tenu alors qu’au début des années 2000 les tensions étaient si vives qu’une rupture et une indépendance réciproque n’étaient pas à exclure. Un modus vivendi a été trouvé, précaire, instable, mais qui assure néanmoins une coexistence pacifique dans ce pays qui a à peine un siècle.
L’héritage de Verdi et de Cavour
Ailleurs en Europe, les mouvements régionalistes n’ont pas percé. Le cas italien est à cet égard exemplaire. L’Italie que nous connaissons aujourd'hui date de 1870, le pays ne fut jamais uni et n’a jamais existé avant les forces conjointes des Piémontais et de Garibaldi pour unifier des territoires hétéroclites, ce qui a plus correspondu à une annexion du sud par le nord qu’à une véritable unification. Si l’attachement régionaliste reste fort, avec la permanence des dialectes et des traditions locales, le sentiment national l’a emporté sur le reste et les mouvements indépendantistes, notamment de Padanie, n’ont jamais eu d’avenir sérieux. L’Italie faite, il fallait "faire des Italiens" selon les propos des tenants du Risorgimento. C’est désormais le cas : les crises politiques et économiques n’ont jamais remis en cause l’unité nationale.
L’Allemagne aussi a su rester unie et même à se réunifier après la fracture de 1945. Pas de velléités d’indépendance en Bavière et une union qui s’est faite, même dans la douleur, entre Bonn et Berlin. En dépit des défaites de 1918 et de 1945, des régimes totalitaires et des souffrances morales et physiques, l’Allemagne n’a pas éclaté, ce qui était loin d’être acquis.
Le fait des hommes et non des structures
Ce que démontrent ces exemples c’est que la nation a finalement, et parfois contre toute attente, été plus forte que les régionalismes et les forces centrifuges. Royaume-Uni, Belgique, Espagne, chacun avec leur histoire et leurs particularités ont été au-delà des crises de sécessions et sont parvenus à les enjamber. La personne du monarque, au-dessus des partis et des clans, y est pour beaucoup, ce qui explique en grande partie l’attachement des personnes à l’institution et à la famille régnante.
Chaque cas est unique et mérite une explication locale, mais à l’échelle de l’Europe il n’y a pas eu de grand éclatement, comme il était parfois légitime de le penser. Les pays ont tenu, les radicaux n’ont pas gagné, les guerres ont pu être surmontées, parfois au prix d’un lourd tribut du sang. Qui aurait pourtant misé sur le maintien de l’Écosse en 2014 ou de l’intégrité de l’Espagne en 2017 ? L’histoire n’est jamais écrite d’avance parce qu’elle est d’abord le fait des hommes, non des structures, et qu’elle est remplie d’imprévus. Ce qui est aussi une occasion d’humilité quand on essaye de la comprendre et de la commenter.
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