Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Erdogan : la fin du calife ?
par Jean-Baptiste Noé
Jamais élection présidentielle ne fut plus serrée en Turquie. Erdogan pourrait se maintenir grâce aux votes de la diaspora turque, qui lui est largement acquise. Mais même s’il venait à perdre, l’administration et les rouages de l’État, composés de partisans de l’AKP, continueront d’influer sur la marche du pays.
Dimanche, les regards seront tournés vers Ankara où pour la première fois Recep Erdogan peut perdre la présidentielle. Premier ministre de 2003 à 2014 puis président de la Turquie depuis lors, cela fait vingt ans qu’il dirige le pays. Ayant modifié la constitution à son intérêt, le poste de président, qui était autrefois honorifique, est désormais devenu exécutif. Vingt ans de pouvoir pour un homme de 69 ans qui souhaite rester à la tête du pays. Mais l’usure du pouvoir d’un côté, les difficultés économiques de l’autre, font qu’il est désormais menacé. À la veille du scrutin, sa défaite est envisagée, ce qui était impossible lors des précédentes élections.
Séisme et inflation
Le récent tremblement de terre, dont les victimes s’élèvent à près de 45 000 morts et des milliers de sans-abri, a fragilisé le régime. Il a révélé la faiblesse des services de soin d’une Turquie qui se voulait pourtant moderne. Il a démontré aussi la collusion existant entre des entreprises du BTP et des cadres de l’AKP. Collusion qui a abouti à de la corruption, des pots-de-vin, des malversations et des mauvaises constructions. Si Erdogan n’est bien sûr pas responsable de ce séisme, une part importante de la population estime qu’il a une responsabilité, ainsi que l’AKP, dans le nombre très élevé de victimes.
À cela s’ajoutent des problèmes économiques majeurs. L’inflation est bondissante, tout comme le chômage, qui frappe plus de 20 % de la population. La livre turque s’est effondrée, fragilisant les entreprises du pays. Alors certes Erdogan connaît de grands succès diplomatiques et a su jouer une partition diplomatique sans faute entre l’OTAN et la Russie. Mais à l’heure de glisser un bulletin de vote, c’est le porte-monnaie qui compte plus que les réussites diplomatiques.
Depuis le coup d’État raté de juillet 2016, Erdogan a repris en main l’armée et les services, réduisant la liberté d’expression et la liberté de la presse. Une répression de la parole libre qui pèse sur les Turcs les plus ouverts. Lors des dernières municipales, Istanbul s’était choisi, certes à une courte majorité, un maire issu de l’opposition. Il est cette fois-ci possible que l’opposition gagne l’élection nationale.
Le salut par l’Allemagne ?
Le scrutin de dimanche devrait être serré, à condition que les urnes ne soient pas trafiquées. Le salut d’Erdogan passera peut-être par l’étranger et le vote des Turcs de la diaspora, notamment en Allemagne. Ceux-ci votent très majoritairement AKP. Ne subissant pas les problèmes économiques, ils sont beaucoup plus attentifs à l’image internationale de la Turquie et au discours nationaliste d’Erdogan. Or cette diaspora est nombreuse, surtout en Allemagne où ils sont près de 2,7 millions, dont 1,6 million de citoyens turcs vivant en Allemagne et 840 000 citoyens allemands qui ont au moins un parent turc, qui peuvent voter à la présidentielle. En cas de scrutin serré, cette population qui sera très encadrée et mobilisée par les associations, pourrait faire basculer le score en faveur d’Erdogan. Loin d’Istanbul et d’Ankara, c’est peut-être en Prusse que le nouveau sultan sauvera son trône.
S’il venait malgré tout à perdre, la situation ne sera pas simple pour son successeur. En vingt ans de pouvoir, Erdogan et l’AKP ont noyauté la Turquie. Le président remplacé, reste l’administration, les services secrets (rôle majeur en Turquie), les fonctionnaires, les militaires, autant de personnes acquises à la figure et aux idées d’Erdogan. Les marges de manœuvre d’un opposant, même élu, seront donc faibles. Avec ce risque inhérent à tout élu de ne pas pouvoir accomplir les promesses réalisées et donc de discréditer l’opposition. Quel que soit le score de dimanche, victorieux ou défait, Erdogan continuera de peser sur la Turquie. Et si ce n’est lui, ce seront les hommes qui, depuis vingt ans, avec l’AKP, se sont formés au pouvoir et contrôlent cet "État profond" qui, lui, ne sera pas renversé par les urnes.
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