Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Élection en Côte d’Ivoire : un pays sous tension
par Jean-Baptiste Noé
Sauf surprise, Alassane Ouattara devrait être élu pour un quatrième mandat à la tête de la Côte d’Ivoire. Une élection qui se déroule dans une ambiance relativement tendue, alors que la crise politique de 2010 n’est pas oubliée.
L’élection présidentielle ivoirienne s’est jouée avant le scrutin du 25 octobre. Les principaux opposants du président en exercice, Alassane Ouattara, ont été invalidés, et notamment son rival de toujours, Laurent Gbagbo, qui n’a pas pu s’inscrire sur les listes électorales. Le pays ne revivra donc pas les drames et les déchirures des années 2010-2011 quand la guerre civile avait frappé, laissant derrière elle des cortèges de massacres.
Depuis lors, le pays connaît une relative stabilité qui permet un certain développement économique. Mais à l’approche des présidentielles, les failles du passé et les tensions internes ressurgissent.
La réélection de Ouattara, 83 ans, ne règle pas les problèmes du pays. Nul ne sait s’il pourra aller au bout de ce mandat et peut-être, comme Paul Biya au Cameroun, prolonger indéfiniment sa présence à la tête du pays. Pour beaucoup, cette réélection permet de gagner du temps et de repousser à plus tard la résolution du problème ivoirien, quand il faudra bien trouver un successeur au président actuel.
Tensions ethniques
Les tensions ethniques, plus que religieuses, continuent de traverser le pays et de le fragiliser. En 2011, les massacres de Duékoué avaient vu s’affronter les Guéré et les Baoulés causant la mort de plusieurs centaines de personnes. Les charniers sont toujours présents, les responsables n’ont pas été jugés, la mémoire des crimes demeure à vif. Si personne ne veut revivre ces moments sombres, les étincelles peuvent néanmoins ressurgir à tout moment.
Les violences de 2011, qui ont causé la mort de près de 3 000 personnes, avaient révélé la fragilité du tissu social et les fractures identitaires autour de la question de l’"ivoirité", concept liant la nationalité et l’appartenance ethnique. Dans cette conception-là, les personnes du nord, notamment celles venant du Burkina Faso, n’étaient pas considérées comme d’authentiques "Ivoiriens". De quoi raviver des tensions nord / sud qui sont à l’origine ethnique, mais sur lesquelles se greffent aujourd’hui des problèmes sociaux et économiques.
Le cas de Tidjane Thiam illustre ces difficultés ivoiriennes. De nationalité ivoirienne, membre de la famille d’Houphouët Boigny, il a obtenu la citoyenneté française en 1987, à laquelle il a renoncé en 2025 pour pouvoir se présenter à la présidentielle. Mais la justice ivoirienne a estimé que l’obtention de la citoyenneté française lui avait fait perdre de fait la citoyenneté ivoirienne, et qu’il ne pouvait donc pas être inscrit sur les listes électorales. À quoi s’ajoutaient ses liens familiaux avec le Sénégal. Pour beaucoup, cette question de la citoyenneté fut perçue comme une instrumentalisation de l’ivoirité pour éliminer des concurrents potentiels. De quoi empêcher toute réconciliation et distiller le soupçon et la méfiance.
Ces querelles identitaires, nourries par des discours politiques ambigus, menacent de raviver des tensions latentes entre les différentes communautés. Dans plusieurs régions, le soutien aux candidats reste fortement corrélé aux appartenances communautaires et à l’origine géographique. Les zones du nord, historiquement acquises au président Ouattara, font face à une opposition marquée dans le sud et l’ouest du pays, où les souvenirs des affrontements passés demeurent vifs. Cette géographie politique complexe alimente les craintes d’un vote perçu comme inéquitable et injuste.
Crédibilité électorale
Au-delà des rivalités de personnes, c’est la crédibilité du processus électoral qui se joue. Les observateurs internationaux appellent à la transparence du scrutin, à la sécurisation des listes électorales et à l’accès équitable des candidats aux médias publics. L’État promet de garantir un scrutin apaisé, mais la méfiance demeure forte dans une partie de l’opinion. Tout cela fragilise le processus démocratique ivoirien et accroît la méfiance envers les institutions. Ce qui n’est pas de bon augure pour l’avenir du pays.
L’élection probable de Ouattara risque de manquer de légitimité du fait des candidats qui n’ont pas pu se présenter. De quoi affaiblir le président en le présentant uniquement comme l’homme du nord, contre le sud et l’ouest. De quoi raviver aussi les rancœurs et les rancunes et de déchirer un tissu social déjà fragilisé. L’unité nationale et l’intégration sociale et économique de toutes les populations seront l’un des principaux enjeux du prochain mandat.
En 2010, le pire avait été évité grâce à la présence militaire française qui avait pu contenir les violences et séparer les belligérants. L’appareil militaire étant désormais réduit, une telle aide ne sera pas possible. Déployée dans le cadre de l’opération Licorne de 2002, l’armée française comptait près de 1 000 soldats en 2010, contre à peine 300 aujourd’hui, avec un effectif en cours de réduction. Pas de quoi protéger les populations ivoiriennes ni les populations françaises présentes à Abidjan et Yamoussoukro.
Du fait de la diaspora ivoirienne présente en France et du rôle clef de la Côte d’Ivoire en Afrique de l’Ouest, la stabilité du pays et les soubresauts politiques ont des conséquences et des répercussions qui vont bien au-delà des seules frontières ivoiriennes. C’est pourquoi ce qui se passera dans le pays ce week-end sera très important pour cette sous-région de l’Afrique.
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