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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

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Jean-Baptiste Noé

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Trieste veut redevenir grande
par Jean-Baptiste Noé

Trieste fut le grand port de l’empire austro-hongrois. Italienne depuis 1919, la ville vit de la mer et des échanges. Depuis quelques années, Autrichiens et Hongrois veulent désenclaver leur pays en renouant avec Trieste.

01/11/2025 - 08:30 Lecture 6 mn.

À Trieste, difficile de se croire en Italie. Le plat emblématique de la ville est une forme de choucroute, la Slovénie et la Croatie sont plus proches du centre-ville que Venise, pourtant à deux heures de train, les plaques d’immatriculation des voitures indiquent des véhicules qui viennent d’Autriche, de Hongrie, de Croatie et de Slovénie. Trieste conserve, encore aujourd’hui, les liens historiques de ce qu’elle fut : le grand port de l’empire austro-hongrois sur la mer Adriatique, donc la Méditerranée, le rival de Venise qui fut aussi, un certain temps, autrichienne. Trieste est aussi connue pour être la grande ville du café : par son port transitaient les grains ensuite torréfiés à Vienne et Budapest.

C’est ici, en 1933, que le Hongrois Ferenc Illy a fondé une marque qui est aujourd’hui une référence mondiale et une fierté pour l’Italie. Dans l’un des grands cafés Illy de la ville, un panneau affiche fièrement : "Illy, le café de la Mitteleuropa". Après l’architecture de la ville et les plaques d’immatriculation dans les rues, le message est clair : Trieste est une ville d’Europe centrale. C’est bien l’Italie, mais ce n’est ni Palerme ni Naples.

La ville pourrait vivre dans la nostalgie de son passé, du temps où les écrivains travaillaient dans ses cafés, comme James Joyce et d’Annunzio, et cultiver le souvenir d’un empire disparu. Il n’en est rien. De sa position géographique unique et de ses liens historiques, Trieste et les pays d’Europe centrale veulent refaire du port un acteur majeur des échanges mondiaux.

 

Connexions mondiales

 

Les ambitions de l’Italie, relayées par plusieurs interventions de Giorgia Meloni, sont de faire de Trieste le point de connexion entre l’Asie et l’Europe. Par des routes maritimes qui relient les ports de Bombay et Dubaï, Trieste se veut le grand port de la Méditerranée, détrônant Gênes, notamment pour rejouer son rôle de porte ouverte vers l’Europe centrale. Preuve en est, en 2019, la Hongrie a investi 45 millions d’euros dans l’achat d’un terrain de 32 hectares sur le port afin d’y édifier un terminal énergétique et logistique qui doit relier Trieste à Budapest. Un projet en étroite collaboration avec les autorités italiennes pour créer un terminal portuaire en eau profonde et un centre de logistique intermodal. Le but de la Hongrie est notamment de faire de Trieste un port d’importation pour ses hydrocarbures, mais aussi un port d’exportation pour ses industries, notamment agroalimentaires. La Hongrie n’a pas le choix : depuis la fin de l’Empire, elle est un pays enclavé, privé d’accès à la mer.

Trieste revendique le statut de port franc. Plus de 60 millions de tonnes de marchandises y transitent chaque année, alimentant toute l’Europe centrale. À la suite de la Hongrie, l’Autriche et la Tchéquie, elles aussi enclavées, ont renforcé leurs liaisons ferroviaires et routières avec le port de Trieste, qui est en train de redevenir le port de Vienne et de Prague. Le port de Vénétie julienne veut jouer le même rôle que Rotterdam pour l’Europe du Nord et l’Atlantique : devenir le port indispensable de l’Europe centrale pour la Méditerranée.

Il y a encore du travail, notamment pour moderniser, construire, mécaniser, robotiser. Le voisin vénitien est jaloux, lui qui développe son industrie pétrochimique dans la lagune et qui a toujours vu en Trieste un concurrent.

L’Italie a aussi intérêt à ce développement. Trieste est excentrée, la ville fut longtemps disputée entre la Yougoslavie et l’Italie avant de redevenir officiellement italienne en 1954. L’Italie comprend tout le parti qu’il y a à tirer de ce port qui lui permet de s’ancrer davantage en Méditerranée tout en étoffant ses liens avec l’Europe centrale. Dans son histoire, l’Italie a réalisé son unité en guerroyant contre l’Autriche. Trieste pourrait sceller la coopération des deux pays, sur l’autel des intérêts économiques et de l’intégration mondiale.

Trieste est ainsi intégrée dans quatre corridors de réseaux transeuropéens de transport (RTE-T) : Baltique-Adriatique (de Trieste aux ports baltiques polonais de Gdansk et Gdynia), Méditerranée (de l’Espagne à la Hongrie et à la Roumanie), Rhin-Alpes (des Pays-Bas à l’Italie) et Scandinavie-Méditerranée (de la Suède à l’Italie). Le port est aussi le principal lieu par où transite le pétrole qui alimente la Bavière et la Serbie, en plus de la Tchéquie, de l’Autriche et de la Hongrie. Enfin, par Trieste arrivent 70 % des exportations turques vers l’Europe.

 

Une plaque tournante

 

Parce que la ville n’est pas gangrenée par la mafia et la criminalité, comme les ports du sud, parce qu’elle dispose de solides réseaux de connexion à l’Europe centrale, à la Baltique et à la Turquie, Trieste est l’un des atouts majeurs d’une Italie qui veut compter en Europe. Son intégration aux capitales européennes et le développement de son port démontrent également que l’Europe ne se fait pas qu’à Bruxelles, à coups de directives. Mais que l’unité du continent se construit aussi par les échanges économiques, les infrastructures et les villes portuaires. Loin de la nostalgie, Trieste veut démontrer que le concept de Mitteleuropa peut toujours être bien vivant et actif.

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