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patrick artus
L'année 2022 vue par... Patrick Artus, conseiller économique de Natixis
WanSquare a demandé à des économistes et des dirigeants de grandes entreprises de livrer leur vision pour 2022 après une année 2021 marquée par la reprise mais aussi par les tensions inflationnistes. Chaque jour nous publions leurs réponses aux questions que vous vous posez. Une série à lire et à conserver précieusement.
Quelles sont vos perspectives pour l’économie mondiale ? Avez-vous élaboré plusieurs scénarios selon la dangerosité du nouveau variant Omicron ?
La caractéristique de l’économie mondiale qui frappe d’abord est l’hétérogénéité : croissance plutôt forte dans les pays de l’OCDE, ralentissement en Chine, difficultés dans plusieurs pays émergents (Amérique latine, Turquie, Afrique du Sud), bonne santé des pays exportateurs de matières premières. Quels sont les risques ? Une nouvelle vague de la pandémie. Un durcissement excessif des politiques économiques. Au contraire, sont favorables à la reprise la baisse rapide du chômage en 2021, la très bonne santé financière des entreprises, la disponibilité d’une épargne excédentaire massive des ménages (800 milliards d’euros pour la zone euro) dont une partie pourra être dépensée, le maintien de politiques monétaires expansionnistes et de taux d’intérêt réels négatifs.
Faut-il s’inquiéter du ralentissement économique chinois ?
Il est frappant de voir que toutes les composantes de la demande intérieure en Chine sont affaiblies. La consommation des ménages par la perspective du vieillissement démographique mal préparé (dépenses publiques de retraite et de santé faibles). L’investissement des entreprises par l’excès d’endettement et le risque politique. La construction de logements par la crise des promoteurs immobiliers. La demande intérieure stagne donc en Chine ; et la croissance ne vient plus que des exportations, ce qui est fragile, surtout dans un contexte de tension internationale. Au total, la croissance moyenne de la Chine va être faible dans le futur, à moyen terme (3% par an ?).
L’inflation actuelle, d’où qu’elle vienne (matières premières, pénuries multiples, prix du carbone), est-elle transitoire ?
Le pic d’inflation observé aujourd’hui est dû aux prix des matières premières, des semi-conducteurs, du transport maritime. Il va progressivement se corriger, avec l’effort très important de développement de l’offre (de gaz naturel, de semi-conducteurs, de transport, de métaux...) qui est réalisé aujourd’hui. Déjà, la quasi-totalité des prix des matières premières recule fortement. Mais, à moyen terme, il faudra tenir compte de l’effet inflationniste de la transition énergétique : les énergies renouvelables sont plus chères que les énergies fossiles en raison de l’intermittence de leur production qui impose de subir les coûts importants du stockage de l’électricité.
L’an prochain, les Etats retireront un peu plus leur soutien aux économies, sont-elles prêtes pour cela ?
Le seul pays où il y aura en 2022 un recul important du déficit structurel (du déficit public corrigé des effets de conjoncture économique) est les États-Unis, où le déficit structurel devrait passer de 16% à 8% du PIB. Il n’est pas sûr que les prévisions disponibles aujourd’hui prennent en compte correctement les effets de cette forte contraction du déficit public aux États-Unis, et il faut craindre que la croissance des États-Unis en 2022 soit décevante.
Les Banques centrales injecteront également moins de liquidités. Craignez-vous des tensions sur les taux d’intérêt et les marchés actions ? Estimez-vous que l’euro va continuer de se déprécier face au dollar ?
Il existe ici une asymétrie très importante entre les États-Unis et la zone euro. Les États-Unis souffrent d’un recul important du taux de participation (de la proportion de la population en âge de travailler qui se présente sur le marché du travail), ce qui n’est pas le cas dans la zone euro. En conséquence de cette contraction de l’offre de travail, les salaires accélèrent aux États-Unis, et pas dans la zone euro, l’inflation sous-jacente (hors matières premières) augmente fortement aux États-Unis, et pas dans la zone euro. Ceci pousse la Réserve Fédérale à sortir plus vite des politiques monétaires expansionnistes que la BCE.
Aux États-Unis, la Banque Centrale va progressivement arrêter d’accroître la taille de son bilan (de créer de la monnaie) et va augmenter ses taux d’intérêt (à partir de la fin 2022-début 2023), alors que tout cela ne se passera que beaucoup plus tard dans la zone euro. Si on anticipe, en raison de cette asymétrie de base sur le marché du travail, une politique monétaire plus restrictive aux États-Unis que dans la zone euro, alors il est normal d’attendre que l’euro continue à se déprécier par rapport au dollar.
Après avoir été en retrait ces dernières années, pensez-vous que le sujet de la soutenabilité des dettes publiques doit faire son retour sur le devant de la scène ?
Même aux États-Unis, où la politique monétaire va devenir moins accommodante que dans la zone euro, les taux d’intérêt réels (corrigés de l’inflation) à long terme vont rester négatifs, donc considérablement plus faibles que la croissance en volume. Tant qu’on reste dans cet équilibre où les taux d’intérêt sont inférieurs à la croissance, le problème de soutenabilité des dettes publiques ne se pose pas, puisque, même avec un déficit public important, le taux d’endettement public converge vers une limite acceptable.
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