éditorial / Yves de Kerdrel
éditorial
Yves de Kerdrel
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Remises en question
par Yves de Kerdrel
Il y a beaucoup de leçons à tirer de la guerre éclair menée par Israël contre l’Iran, même si l’on ignore encore les conséquences réelles sur la capacité de Téhéran à reconstruire un arsenal nucléaire. Au lieu de cela le sommet de l’OTAN a été une mascarade durant laquelle les Occidentaux se sont engagés à doubler leur effort pour la défense sans savoir pourquoi, avec qui et de quelle manière.
Dans cette période qu’il est juste de comparer à un moment de l’histoire dominé par les prédateurs, le sommet de l’OTAN a fait ressortir sinon quelques absurdités du moins des incongruités. La première a concerné le bilan de l’opération israélo-américaine contre l’arsenal nucléaire iranien. Donald Trump s'est naturellement félicité de la frappe nocturne réalisée il y a une semaine par plusieurs de ses bombardiers furtifs porteurs de la seule bombe au monde à pouvoir perforer une colline sur une profondeur de 60 mètres.
Et au lendemain de cette frappe inédite en matière de planification (avec des bombardiers volant pendant 37 heures, des ravitaillements en vol, des forces infiltrées pour le guidage, et des tirs de missiles de la part de sous-marins d’attaque) tout le monde – y compris en Israël – paraissait assuré que le site de Fordo avait été mis hors d’état de nuire. Jusqu’à ce que le New York Times, discrètement informé par la Defense Intelligence Agency (l’une des agences de renseignement des États-Unis, qui fonctionne sous la juridiction du département de la Défense) explique que le programme nucléaire iranien a été retardé seulement de quelques mois et qu’il n’a pas été "complètement et entièrement anéanti".
Parallélisme des formes
Cette analyse détaillée de l’observation des images satellites suggère que l’Iran avait caché les composants essentiels de son programme nucléaire avant la frappe des B2 américains sur Fordo. Elle laisse supposer que l’Iran aurait transféré son stock de 408 kg d’uranium enrichi dans un lieu inconnu. Or le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique a averti à plusieurs reprises que l’Iran disposait de suffisamment d’uranium enrichi pour fabriquer plusieurs bombes nucléaires s’il décidait de le faire. Précisons que 42 kilogrammes d’uranium enrichi à 60 % suffisent à produire une bombe atomique s’il était enrichi à 90 %. À la condition de disposer des vecteurs et notamment des missiles balistiques pour porter cette arme.
Le réflexe anti-Trump a poussé de nombreux médias américains - mais aussi certains services secrets de ce côté-ci de l’Atlantique - à adopter cette thèse sans discernement. Si bien qu’une semaine après l’opération "Midnight Hammer" beaucoup sont aussi convaincus que l’Iran dispose toujours de cet uranium enrichi que George Bush l’était en 2003 de la présence d’armes nucléaires en Irak. Le parallélisme des formes et des situations est assez incroyable. Et cela montre à quel point nous sommes prêts à oublier que les États-Unis ont manipulé le monde entier dans l’immeuble des Nations Unies en obligeant ce pauvre Colin Powell à présenter aux caméras des images trafiquées. Ceux qui ont utilisé des "fake news" il y a une vingtaine d’années – et en ont fait l’aveu public – peuvent très bien recommencer aujourd’hui avec la même assurance. Ceux qui ont cru à ces "fake news" de bonne ou de mauvaise foi sont encore prêts à "tomber dans le panneau".
L’état-profond, contrepouvoir face à Trump
Il y a au moins quelque chose de rassurant dans cette fuite venant du Department of Intelligence Agency auprès d’Axios et du New York Times. C’est que Donald Trump n’a pas tué "l’État profond" américain. Puisque cette thèse du DIA – qui utilise très largement le conditionnel - a même été considérée comme une traîtrise par le locataire de la Maison blanche. Le "deep state" que l’on croyait pourtant avoir disparu au cours des dernières semaines apparaît finalement comme un sérieux contre-pouvoir face aux vérités assénées à coups de déclarations en majuscule faites sur les réseaux sociaux par Donald Trump.
Nous nous garderons bien ici de tirer une conclusion ou bien de préférer une thèse à une autre. Mais à "l’heure des prédateurs" où la désinformation constitue une manière de poursuivre la guerre par d’autres moyens comme la Russie sait très bien le faire, il serait fou de penser que les Américains ont renoncé à utiliser ce type de méthodes. Il serait fou aussi de croire que les derniers représentants de la civilisation perse n’aient pas anticipé la guerre éclair dont ils ont été l’objet.
5 % du PIB pour quoi faire ?
Auréolé d’un possible succès militaire Donald Trump n’a pas eu de difficulté à faire approuver par les pays membres de l’OTAN leur engagement à porter d’ici 2035 à 5 % de leur PIB leur effort de défense. Seule parmi les 32 pays membres de l’alliance Atlantique, l’Espagne a expliqué qu’elle ne se soumettrait pas à cette règle. Il reste que pas plus Mark Rutte que Donald Trump ne sont capables d’expliquer la pertinence de ce niveau de 5 % du Produit Intérieur Brut. Bien sûr il nous faut préparer un possible retrait des États-Unis de la Charte de l’OTAN. Bien sûr il faut tenir compte de l’évolution des moyens conventionnels russes, dans les années à venir, au point de représenter, dès 2028, une menace existentielle.
Mais avec un budget militaire (hors pensions) de 100 milliards d’euros par an, la France sera-t-elle mieux protégée pour autant ? Idem pour l’Allemagne avec 200 milliards d’euros par an. Idem pour la Grande-Bretagne qui s’apprête à se doter de 27 avions F35 (made in USA) capables de porter l’arme nucléaire tactique B61 (made in USA) ? Et que dire de la France qui laisse Dassault Aviation torpiller le projet européen d’avion du futur pourtant porté par… Airbus ? Comme si en 2025 nous étions toujours incapables de tirer les leçons de la désunion européenne en matière d’armement.
Enfin si "la guerre est une chose bien trop grave pour être confiée aux militaires" comme l’assurait Georges Clémenceau, il serait peut-être intéressant de leur demander leur avis plutôt que de se faire dicter par Washington le bon niveau de notre effort de défense. Il se dit que la prochaine "mise à jour" de la loi de programmation militaire qu’Emmanuel Macron pourrait annoncer le 13 juillet prochain donnera la priorité à la composante spatiale. Mais face à une guerre hybride – par exemple sur le front cyber – ou à une offensive low-cost – par exemple avec une saturation du ciel par des drones à quelques milliers de dollars – que pourrons-nous faire ?
Difficile exercice intellectuel
Le problème de notre époque c’est que l’on assiste à un affranchissement total des conventions internationales, pas seulement de la part des états voyous, mais aussi de la part de démocraties. De la même manière certains paradigmes établis par l’histoire sont totalement remis en cause. Il est cent fois moins cher aujourd’hui d’attaquer un pays, que de défendre son propre sol. La guerre de douze jours menée contre l’Iran s’est faite sans qu’Israël ait à déplorer la perte d’un seul de ses soldats. Ce qui est une chose heureuse. En revanche plusieurs civils israéliens sont morts du fait de l’envoi de drones ou de missiles balistiques iraniens… sur des hôpitaux ou des bâtiments qui ne devaient pas être visés.
Dans ces conditions c’est la notion même du métier de "soldat" qui se trouve remise en cause. Dans son ouvrage remarquable, le général François Lecointre, ancien chef d’état-major des armées raconte qu’il s’est plusieurs fois heurté à de jeunes officiers fraîchement sortis de Saint-Cyr qui lui expliquaient avoir choisi ce métier car étant prêts à "mourir pour la France". L’officier général leur a répété à chaque fois qu’ils n’avaient rien compris et que le métier de soldat consistait, au contraire, à être prêt à "prendre la vie" d’autres soldats tout en protégeant la sienne. Notre époque se prête donc plus à la remise en cause de vieux préjugés, de vieilles conventions ou de normes surannées qu’à l’établissement de nouvelles règles. Il n’est pas certain que nous soyons les mieux équipés pour cet exercice intellectuel.
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