Chronique
Indonésie – Nouvelle-Calédonie : enjeux français
par Jean-Baptiste Noé

Si Jakarta et Nouméa sont distants de près de 7 000 km, les deux villes sont situées dans l’espace indo-pacifique dont l’importance ne cesse de croître. Et cette semaine, les politiques français s’y sont retrouvés : François-Xavier Bellamy et Marine Le Pen en Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron en Indonésie. Des voyages qui ont le mérite de rappeler que l’horizon français ne se limite pas à l’Afrique et au Moyen-Orient, que la France est le pays des treize fuseaux horaires, même s’il manque une vraie réflexion sur l’intégration des outre-mer, et que les intérêts de Paris passent aussi par l’océan Pacifique.

Indonésie : un non-alignement stratégique

Depuis son indépendance en 1945 et la conférence de Bandung en 1955, l’Indonésie veut être le chantre des pays non-alignés. Le président Prabowo Subianto dit ainsi vouloir pratiquer une "diplomatie indépendante " en refusant de rejoindre un bloc géopolitique : "Notre philosophie est d’être amis avec tout le monde", affirme-t-il. Être ami, y compris en s’armant : la flotte aérienne du pays est ainsi composée de Sukhoi russes, de F16 américains, de Rafale français et de chasseurs J-10 chinois. Les quatre grands de l’aviation militaire mondiale réunis dans un seul pays. Ou comment s’armer tout en restant diplomate.

C’est que l’Indonésie est un pays crucial. Avec une population de 280 millions d’habitants, c’est le pays musulman le plus peuplé. Immense archipel dont la distance d’un bout à l’autre équivaut à celle qui sépare Londres de Kaboul, le pays est toujours sous la tension de mouvements centrifuges et autonomistes qui menacent son intégrité. D’où la nécessité d’unir le pays et de contrôler les marges. Sa géographie le transforme en lien de passage obligatoire entre les océans Indien et Pacifique, notamment par les détroits de la Sonde et de Malacca, par où transitent près de 80 % des hydrocarbures qui alimentent la Chine. La stabilité du pays est donc d’une nécessité vitale pour le commerce mondial. Et aussi pour la présence française dans l’océan Indien, le passage y étant nécessaire pour la voie maritime vers la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie.

Les contrats d’armement conclus avec l’Indonésie ainsi que les échanges économiques réalisés par les entreprises françaises sont essentiels pour développer la présence française dans une zone Indo-pacifique de plus en plus centrale dans l’équilibre du monde. Notamment via la ville port de Singapour, à l’originalité et au dynamisme éprouvés dans cette zone Insulinde.

Des ressources vitales

Mais l’Indonésie est aussi importante pour ses ressources minières et agricoles.

Le nickel, le gaz et le charbon sont extraits en grande quantité de son sous-sol, loin des regards des réserves habituelles du Moyen-Orient et de la Russie, mais de façon néanmoins majeure pour les marchés mondiaux.

Dans le domaine agricole, l’huile de palme et l’hévéa sont des productions essentielles tant pour le pays que pour l’agro-industrie française. Ce sont là aussi des ressources qui, loin des radars médiatiques, font de l’Indonésie un géant invisible. Le dynamisme de ce géant a pourtant des conséquences directes pour la France d’outre-mer.

La Nouvelle-Calédonie, en effet, ne tient que par ses mines de nickel, qui fournissent de l’activité industrielle, des emplois et des retombées économiques directes et indirectes pour l’archipel. Que les mines viennent à être épuisées ou à ne plus être rentables sur le marché mondial et l’intérêt stratégique et économique du territoire pourra se poser, alors même que la crise politique qui dure depuis plus de deux ans démontre que Paris s’intéresse peu à ce territoire. Or c’est bien le risque couru aujourd’hui par la Nouvelle-Calédonie, avec une industrie du nickel en perte de vitesse, concurrencée notamment par les mines d’Indonésie, dont Weda Bay.

Weda Bay, le centre mondial du nickel

Située sur l’île d’Halmahera, dans la province indonésienne des Moluques du Nord, la concession minière de Weda Bay s’est imposée comme le centre mondial du nickel. À elle seule, elle représente 17 % de la production mondiale, avec des perspectives continues de croissance. L’exploitation à ciel ouvert n’a débuté qu’en 2019, mais, en à peine 5 ans, elle s’est imposée comme le lieu incontournable du nickel, renvoyant les mines de Nouvelle-Calédonie à leurs difficultés structurelles. Le groupe français Eramet y a longtemps été associé à l’allemand BASF, avant de quitter le projet en juin 2024, notamment pour échapper aux attaques informationnelles conduites par des ONG et des associations environnementales. Ce départ occidental laisse le champ libre aux entreprises chinoises, moins attaquées et moins soucieuses des questions écologiques. Une avancée de la Chine dans l’espace indo-pacifique qui resserre l’étau qui pèse sur la Nouvelle-Calédonie, dont la position stratégique est convoitée par Pékin.

Si l’Indonésie est un géant invisible aux yeux du monde et pour la pensée stratégique française, ce qui s’y passe a néanmoins des conséquences lourdes pour l’influence et la présence de la France dans l’océan Pacifique. Et les seules incantations sur la Nouvelle-Calédonie n’y suffisent pas : c’est bien l’ensemble de cet espace qu’il faut intégrer dans une pensée stratégique.