Chronique
Tanger Med s’impose en Méditerranée
par Jean-Baptiste Noé

Inauguré en 2007, après trois ans de travaux menés notamment par Bouygues, Tanger Med s’est imposé comme le premier port d’Afrique et de Méditerranée. Face au détroit de Gibraltar, à une quarantaine de kilomètres de la médina de Tanger, il est devenu non seulement un grand port, mais aussi un centre industriel majeur, base de production de nombreuses industries françaises. Dans le classement Alphaliner 2024, qui répertorie les principaux ports mondiaux, Tanger Med occupe la 17^e place, alors que les 20 premières places sont essentiellement occupées par des ports chinois. Avec 10,24 millions de conteneurs EVP, (8,6 millions en 2023) il fait plus que les ports de Valence et d’Algésiras cumulés (10,17 EVP à eux deux). Tanger Med s’est imposé comme le premier port de Méditerranée, très loin devant Barcelone et Marseille, aucun port français ne figurant dans le Top 20 du classement Alphaliner.

Un port et un espace

Tanger Med est plus qu’un port, c’est un espace. Des terminaux en eaux profondes sur une route de Gibraltar intensément fréquentée. Des autoroutes et des voies ferrées pour relier le port au reste du pays et du continent. Des entreprises mondiales implantées : Maersk, qui exploite Tanger Med 2, via sa filiale APM Terminals, la CMA-CGM, qui exploite Tanger Med 1, via Eurogate.

C’est aussi une base industrielle, plus de 1 400 entreprises installées, dont Renault et Stellantis, ainsi que des entreprises textiles. Le port fait la fierté légitime du Maroc tant il a réussi une prouesse : s’imposer en moins de 20 ans comme un acteur mondial incontournable. Grâce à une logistique parfaitement coordonnée, des industries attirées par des facilités fiscales et une main-d’œuvre qualifiée. Tanger Med est un espace à part entière, sous surveillance perpétuelle, les routes gardées de multiples barrages de la gendarmerie marocaine. C’est qu’à côté de la réalisation industrielle majeure passent d’autres routes ; celles des trafics. Trafics de migrants, qui voient dans l’enclave espagnole de Ceuta, à 50 km du port, la porte d’entrée vers l’Europe et son eldorado promis ; trafics de drogue, les ports étant des espaces privilégiés pour transiter entre les pays. Le Rif marocain, non loin de Tanger lui aussi, est le principal lieu de production de cannabis, en face d’une Europe qui en est la principale consommatrice. De Tanger à Oujda, à la frontière algérienne, sont concentrés les défis économiques, industriels et sanitaires de l’Europe ; un espace réduit où se jouent pourtant les confrontations géopolitiques.

Le défi français

Visiter Tanger Med pose invariablement la question du déclin français. Pourquoi est-ce qu’aucun port français n’arrive à se positionner dans les classements mondiaux ? Entre 2000 et 2024, le trafic maritime mondial a doublé, passant de près de 6 millions de tonnes de marchandise à près de 12 millions, mais les ports français n’ont pas profité de cette hausse, voyant leurs trafics stagner. Tanger Med a réussi à s’imposer face à ses concurrents espagnols et français, en partant de rien et en bâtissant un espace industriel majeur, souvent du reste grâce à des contrats passés avec des entreprises françaises.

Ce port pose la question tant de fois débattue en géopolitique du rapport entre le déterminisme et le volontarisme. Il faut bien évidemment une base géographique pour développer un port, une façade maritime, une zone fréquentée, une connexion avec l’arrière-pays. En Afrique du Nord, Oran, Alger et Alexandrie disposent de cela, mieux que Tanger Med. Si la réussite se fonde sur des données géographiques déterminées, elle repose surtout sur une volonté. Ici, bâtir un port dans un espace hostile : la mer est houleuse, le relief escarpé, le littoral étroit, le climat souvent pluvieux et brumeux. Il fallait également former une main-d’œuvre locale capable de gérer un tel site, de manier les grues, de s’adapter aux nouvelles techniques portuaires. C’est donc un formidable défi, tant technique qu’humain, qui a été relevé. Un défi aussi pour le voisin espagnol qui voit ses ports de Gibraltar, Algésiras et Valence, dépassés par le port marocain.

La tourmente mondiale

Les attaques houthis en mer Rouge ont perturbé le commerce maritime mondial, réduisant l’axe qui passe par Suez. Nombreux sont les cargos à prendre la route du cap de Bonne Espérance, plus longue, mais plus sécurisée. Gibraltar est ainsi redevenu la porte d’entrée privilégiée de la Méditerranée, ce qui n’est pas sans poser des défis logistiques. Les bateaux doivent pouvoir se croiser dans un détroit qui n’est large que de 14 km ; les ports doivent pouvoir absorber un trafic en hausse alors que leurs capacités sont déjà maximales. Si les débats sur la "démondialisation" sont parfois à la mode, celle-ci n’est pas visible ni dans les ports ni sur les mers qui, plus que jamais, sont les espaces privilégiés du commerce international.