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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

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Jean-Baptiste Noé

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Ukraine : vers un autre monde
par Jean-Baptiste Noé

Trois ans après l’invasion de l’Ukraine, c’est un autre monde qui émerge. Doctrine militaire, conduite de la guerre, monde multipolaire, tant de choses ont changé.

01/03/2025 - 08:30 Lecture 6 mn.

Retour de l’énergie nucléaire, usage des drones, recomposition des alliances, remilitarisation, en trois années de guerre, le monde a basculé. Un monde qui était en couvaison a brutalement fait irruption.

 

Regarder un monde en feu

 

Le monde de 2025 n’est pas né avec la guerre d’Ukraine, il était en gestation, en préparation, mais beaucoup ne voulaient pas le voir, souvent par refus d’accepter la réalité des conflits, sous toutes leurs formes. C’est ce voile qui s’est déchiré et cette réalité qui a, brutalement, fait irruption.

Idée, fausse, que l’Europe était dans une paix perpétuelle et qu’elle ne serait jamais attaquée. Alors même qu’il y avait eu la guerre de Yougoslavie et des interventions françaises nombreuses, notamment au Sahel, pour protéger l’avant-front européen. Dans un pacte tacite conclu au cours des dernières décennies, les États européens s’adjugeaient les dépenses sociales, laissant aux États-Unis le soin des dépenses militaires, via l’OTAN. Ainsi, en France, les dépenses sociales sont passées, en pourcentage des dépenses publiques, de 6 % en 1938 à 57 % en 2023. Dans le même temps, les dépenses de défense sont, elles, passées de 50 % des dépenses publiques à 4 %. Une évolution économique qui manifeste un bouleversement politique.

Dans la tradition philosophique classique, le rôle premier de l’État est d’assurer la sécurité de ses habitants ; intérieure (police) et extérieure (armée). Quand l’État français consacre à peine 2 % de son PIB à l’armée, c’est que la nature de l’État a changé, passant d’un État protecteur à un État providence.

Face aux menaces actuelles et à la nécessité de redresser l’armée, si l’on veut augmenter les dépenses militaires, il faudra bien revoir le périmètre de l’État en matière sociale, étant entendu que les capacités d’endettement et de ponction fiscale commencent à être sérieusement limitées. Les conditions internationales vont donc contraindre à revoir l’organisation même de l’État français et sa philosophie. Ce n’est pas le moindre des changements provoqués par cette guerre.

 

Où va l’Europe ?

 

Le deuxième grand changement concerne la place de l’Europe, non seulement dans le monde, mais surtout sur son propre continent. Russes et Américains négocient directement entre eux, passant au-dessus des Européens, qui découvrent qu’un accord a été conclu entre Washington et Kiev pour la gestion des terres rares et des minéraux. Les pays d’Europe ont beau parler de solidarité et de dialogue commun, dans les faits, ils sont ignorés des négociations pour une guerre qui se déroule sur leur sol. Nous payons ici des décennies de non pensée stratégique et géopolitique. Rien n’est irrémédiable mais, pour éviter l’effacement, c’est aussi à un réarmement intellectuel qu’il va falloir se livrer.

 

Enseignements militaires

 

Les enseignements militaires sont multiples et tiennent autant à la tactique qu’aux évolutions du matériel. Le premier, et peut-être le principal, tient à l’emploi des drones. Peu chers, rapides à fabriquer, économe en vie humaine, les drones transforment le champ de bataille. Les Ukrainiens ont su maîtriser cette technologie et l’employer à grande échelle, empêchant les manœuvres de l’armée russe.

Le deuxième concerne la guerre de l’information. Dans cette guerre suivie au jour le jour, commentée en direct, où la communication passe sur des réseaux sociaux publics, les mensonges et les tromperies se mêlent aux vraies nouvelles. Ce qui est visé, c’est le soutien des alliés, la pensée collective. Une véritable guerre cognitive qui vise à imposer un discours et à empêcher tout recul et toute analyse.

Le troisième enseignement est celui de l’importance cruciale des forces morales. Si l’Ukraine a tenu, c’est parce que le peuple ukrainien a accepté les sacrifices imposés par la guerre : verser son sang, mourir pour son pays, vivre dans un pays en guerre, sous les menaces ennemies. Même en ayant la meilleure armée du monde, rien ne tient sans soutien des civils et sans force morale de la nation. Si la force morale est révélée par la guerre, elle est construite en temps de paix. Pour tous les pays d’Europe, et donc pour la France, c’est une leçon à prendre en compte.

En n’oubliant pas non plus l’essentiel : la guerre d’Ukraine n’aura plus jamais lieu. C’est-à-dire que les guerres de demain ne seront pas comme la guerre d’aujourd’hui. Donc s’il y a des enseignements militaires à tirer, il faut le prendre avec la souplesse nécessaire à une adaptation aux circonstances qui viendront. Le risque étant de livrer demain des guerres d’hier.

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