Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
L’Égypte dans l’impasse
par Jean-Baptiste Noé
Entourée de pays en guerre, frappée par une violente crise économique, l’Égypte est dans l’impasse. La peur des frères musulmans est l’assurance vie d’un pouvoir qui n’a pas réussi à mener les réformes essentielles.
Il a fallu attendre de nombreuses années et subir d’importants retards, mais le Grand musée d’Égypte est désormais ouvert depuis octobre 2024, même si son inauguration n’a pas encore eu lieu. C’est une incontestable réussite, qui associe une muséographie moderne et soignée à des pièces archéologiques de grande valeur. Deux fois plus grand que le Louvre, couvrant près de dix millénaires d’histoire, ce musée est l’œuvre de la volonté tenace d’al Sissi, un projet pharaonique pour une Égypte qui veut être fière d’elle-même.
Dans une verrière lumineuse, la salle principale s’ouvre sur les pyramides et le plateau de Gizeh. Une merveille architecturale qui renvoie le vieux musée du Caire de la place Tahrir à son charme désuet des années 1950. Mais pour y entrer, il faut traverser les quartiers pauvres du Caire, rouler dans des rues poussiéreuses où s’entassent des enfants pieds nus et des chevaux faméliques. Les Égyptiens ont payé par la dette un plaisir aux touristes internationaux amateurs d’égyptologie, qui après une journée passée dans ce nouveau musée grandiose, pourront s’envoler à Charm el-Cheikh pour quelques jours de détente en mer Rouge.
Le musée ne nourrit pas
"Le musée est magnifique et nous en sommes très fiers" nous dit ouvertement le chauffeur de taxi "mais il ne donne pas du pain à mes enfants". Partout en Égypte l’inflation est au plus haut. Les prix des denrées alimentaires s’envolent, ceux des logements aussi. La faute à une économie tenue par l’administration, où la corruption est omniprésente et où une partie des fonds publics sert à autre chose qu’aux investissements prévus. Le nouveau Caire étend ses rues et ses promesses d’urbanisme moderne pour une classe moyenne qui n’existe pas vraiment. Place Tharir, haut lieu de la contestation de 2011, la police est beaucoup plus présente depuis trois mois. Et à quatre stations de métro, des quartiers délabrés, des voitures hors d’âge, des enfants en guenilles et des frères musulmans qui prospèrent.
Une île au milieu des tourments
Pauvre Égypte, seul pays stable au milieu des tourments. À l’ouest, la Libye en fracture clanique depuis 2011, routes de tous les trafics de l’Afrique vers l’Europe. Au sud, un Soudan en guerre ethnique d’une rare violence depuis le printemps 2022, dont les milliers de réfugiés soudanais qui s’entassent au Caire sont les stigmates de la crise. À l’est, Gaza, un mur dressé le long de la frontière pour éviter l’arrivée d’une population vue avec beaucoup de méfiance. À Damas, à une heure de vol du Caire, un pouvoir islamiste qui a pris le pouvoir et dont beaucoup craignent l’effet domino dans la région. Prestement, le gouvernement égyptien a interdit la délivrance de visa aux Syriens pour éviter toute infiltration djihadiste. La sécurité est renforcée sur les lieux touristiques et dans les aéroports.
L’Égypte tient encore sur deux piliers fragilisés : le canal et le tourisme. Mais depuis octobre 2023, les revenus issus de Suez ont fondu de 60 %. En cause, la guérilla des Houthis qui depuis leurs montagnes du Yémen, tirent sur les cargos, obligeant les compagnies à contourner l’Afrique. Moins de passages par Suez et donc moins de devises pour subventionner le blé et la nourriture. Et donc plus de hausse des prix pour une Égypte déjà lourdement affectée par la guerre d’Ukraine et le blocage des céréales en mer Noire.
Qu’un attentat touche des touristes, comme en 2018 et 2019, et ce sera l’autre pilier qui tombera, plongeant des milliers de familles dans le chômage. Le gouvernement actuel n’est guère apprécié, mais la brève expérience des frères musulmans (2012-2013) a laissé un souvenir amer. Faute de mieux, et par peur du pire, al Sissi tient. Mais si l’Égypte venait à être directement touchée par les cyclones géopolitiques de sa région, il n’est pas certain que les cars blindés de la place Tahrir puissent faire quoi que ce soit pour éviter un vent de changement.
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