Chronique
Les États-Unis face à leurs fractures
par Jean-Baptiste Noé

En novembre dernier, les Américains n’ont pas voté en fonction de l’Ukraine ou de Taïwan, mais de leur caddie et de leur vie quotidienne. Des raisons qui peuvent paraître triviales à l’analyste politique, mais qui expriment les doutes et les fractures d’un pays qui est la première puissance mondiale tout en étant multifracturé. Les deux drames qui se sont déroulés de façon presque concomitante, et qui ne semblent pas avoir de rapport entre eux selon les premiers rapports des enquêtes, révèlent les difficultés vécues par l’Amérique.

Nouvelle Orléans : la tragédie et l’effroi

L’attentat de la Nouvelle-Orléans rappelle aux Français celui de Nice. Même mode opératoire : un véhicule utilisé pour percuter la foule ; même tempo : un jour de fête, le 14 juillet à Nice, le Nouvel An à la Nouvelle-Orléans ; même lieu emblématique : la promenade des Anglais, l’artère centrale de la ville.

Ce déroulement rappelle qu’une action terroriste est d’abord une action de communication, qui vise à imposer un message en terrorisant la population. Le nombre de morts importe peu, même s’il est important. Ce qui compte, c’est l’effet de sidération recherché par le choix de la date, du lieu et de l’environnement. L’acte terroriste, en visant des symboles qui parlent à tous, élargit sa cible et touche beaucoup plus de monde que les seules personnes assassinées. C’est l’effet final recherché par le terroriste qui, à La Nouvelle-Orléans, a réuni tous les ingrédients.

La même recherche des symboles a été organisée à Las Vegas. La voiture choisie : un Tesla, le lieu concerné : la Trump Tower. Si les motivations ne sont pas encore connues (suicide ? attentat ?), force est de constater que l’on en parle et que, là aussi, cette explosion crée un effet de sidération et de psychose. Celui qui a organisé cette explosion ne pouvait pas l’ignorer.

De quoi mettre une pression supplémentaire sur l’organisation de l’investiture de Donald Trump, alors que les services de sécurité conservent en mémoire la tentative d’assassinat de l’été.

Une Amérique fracturée

Les profils des commanditaires de ces deux actions illustrent les failles sociales de l’Amérique.

Shamsud-Din Jabbar avait tout du citoyen ayant accompli le rêve américain. Issu de l’immigration, mais né aux États-Unis, il a porté l’uniforme, fut engagé sur de nombreux théâtres d’opérations et médaillé. Reconverti dans la vie civile, il a monté son entreprise immobilière et fondé une famille. Avant de sombrer, pour des raisons que l’enquête devra déterminer. Faillite, séparation, puis finalement allégeance à l’État islamique, qu’il a combattu en tant que militaire américain. Tous les ingrédients de l’acte djihadiste furent ensuite réunis : vidéos postées sur les réseaux sociaux, drapeau de l’EI dans la voiture, organisation de l’attentat.

Voilà donc un fils de l’Amérique, qui a versé son sang pour elle, qui se retourne contre elle et se met au service de ses anciens adversaires. Quand une société produit ses ennemis en son sein, c’est qu’elle a de graves problèmes que les seuls slogans politiques ne peuvent pas résoudre. Les États-Unis ont longtemps été épargnés par le terrorisme islamiste, les voici cette fois en première ligne, non pas par des personnes venant de l’extérieur, comme ce fut le cas en 2001, mais par des combattants émergeant du sein même de l’Amérique.

Le profil de Matthew Livelsberger est plus complexe. Lui aussi est issu de l’armée. Il était en poste en Allemagne et en permission dans le Colorado pour Noël. Lui aussi a combattu en Afghanistan et en Irak, même s’il n’a jamais croisé Shamsud-Din Jabbar. Les raisons pour lesquelles il a organisé cette explosion sont pour le moment incertaines. Mais cela n’est pas sans évoquer la difficile réintégration des soldats et des vétérans, dans une Amérique qui en compte des milliers du fait de la multiplicité des opérations militaires engagées depuis 2001.

Beaucoup ont subi des troubles psychologiques importants, parfois difficilement détectables, mais qui peuvent se réveiller à l’occasion d’un drame familial ou de difficultés personnelles. Sans compter que leur parcours et leurs missions sont parfois mal compris par la population. On se retrouve alors avec des hommes qui savent manier les armes et les explosifs tout en étant psychologiquement fragiles. Le tout dans une Amérique où la consommation de drogue explose et les problèmes sociaux qui accompagnent ce type de pratique. Cela se traduit par une espérance de vie qui diminue et des fractures sociales de plus en plus importantes.

Que ce soit un ennemi de l’intérieur (Nouvelle Orléans) ou un homme perdu (Las Vegas) ces deux événements, survenus le jour de l’An, dans des lieux emblématiques et impliquant des symboles forts, augurent mal du début d’une année civile et d’un mandat politique qui vont devoir s’atteler aux maux profonds de l’Amérique.