Chroniques / Jean-Baptiste Noé
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Jean-Baptiste Noé
Chronique
États-Unis : modèle en danger
par Jean-Baptiste Noé
L’élection présidentielle américaine dépasse le seul cadre des États-Unis. Elle est aussi le symbole d’un modèle politique : la démocratie, dont la nature est remise en cause dans plusieurs pays. Du bon déroulé de l’élection dépend en partie la survie de ce modèle.
Le pire scénario américain serait que le nouveau président ne soit pas connu à l’issue de la journée du scrutin. Que l’on reparte dans les querelles de 2020, où l’élection s’est jouée à quelques milliers de voix dans les États clefs ou pire, dans les méandres de 2000, où les comptages de quelques comtés de Floride furent arrêtés sur ordre de la Cour suprême, et le modèle américain serait gravement menacé. Et avec lui, le modèle même de la démocratie politique.
Sauver l’idée de la démocratie
C’est que l’élection américaine dépasse le seul cadre des États-Unis. Preuve en est, elle est abondamment commentée en Europe depuis plus d’un an où elle est suivie presque au jour le jour. Le sujet passionne et inquiète à la fois. Même en dehors des États-Unis, les chefs d’État et les citoyens prennent position pour l’un ou l’autre candidat, ce qui n’est jamais le cas pour les présidentielles des autres pays. Quand on est la première puissance mondiale, que l’on est fier de son modèle et convaincu de sa "destinée manifeste" on se doit d’être irréprochable aux yeux du monde.
Si la démocratie américaine ne fonctionne pas, c’est l’idée même de démocratie qui est remise en cause. Si l’élection dérape, ce sera une faiblesse pour la politique intérieure des États-Unis, mais aussi pour son rayonnement à l’international. Comment vouloir établir la démocratie en Irak en 2003 quand les normes de l’élection ont été quelque peu aménagées trois ans auparavant ? Comment expliquer que la démocratie est le meilleur des régimes quand il conduit à des remises en cause et des doutes intérieurs comme il y a quatre ans ? Difficile ensuite de vendre ce modèle aux Chinois et aux Russes.
Perpétuer le désir
Ce qui se passe en Moldavie et en Géorgie devrait à ce titre inquiéter les défenseurs du système libéral. Certes il y a eu des ingérences russes, mais se cacher derrière ce motif est une excuse trop facile et paresseuse. C’est comme imputer l’élection de Donald Trump en 2016 et le oui au Brexit aux trolls russes. Ce n’est pas parce que des trolls interviennent sur les réseaux sociaux qu’ils peuvent modifier en profondeur la pensée des populations. D’autant que sur les réseaux sociaux, chacun ne suit que les comptes qui confortent son opinion.
Se focaliser sans cesse sur la main de Moscou occulte les véritables raisons des choix politiques : la détresse des classes moyennes américaines en 2016, et encore plus aujourd’hui avec la crise des opiacés, le rejet de Bruxelles de la part des Anglais. Il en va de même aujourd’hui en Moldavie et en Géorgie. Dans le premier pays, le "oui" à l’adhésion à l’UE ne l’a emporté que grâce aux suffrages des Moldaves vivant à l’étranger, pour un score final des plus serré : à peine 10 000 voix d’écart pour 1,5 million de votants.
Il faut avoir le courage de regarder les choses en face : le modèle libéral ne fait plus rêver. Dans beaucoup de pays, les modèles autoritaires sont perçus comme étant plus efficaces pour permettre le développement et assurer la puissance et la grandeur. En Occident, les gouvernements ne restent que peu de temps au pouvoir et mènent des politiques qui se contredisent sitôt arrivés en poste. Comme au Royaume-Uni, où les travaillistes viennent d’annoncer une hausse massive des impôts.
Engluées dans les multiples élections, locales ou nationales, les démocraties ne font pas les réformes nécessaires, sacrifiant l’avenir aux jeux politiques immédiats. Le problème de la dette et des retraites n’est pas chose nouvelle en France et ne date pas de l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Face à ces impasses, le modèle chinois, avec sa stabilité et ses projets à vingt ans, apparaît comme plus sûr et plus efficace aux yeux de beaucoup. Le modèle russe ne déplaît pas non plus dans une grande partie du monde. Quant à l’Afrique, elle a refermé la parenthèse démocratique pour revenir aux coups d’État et aux gouvernements militaires.
Redevenir désirable, démontrer aux yeux du monde que la démocratie, même avec ses heurts, ses limites, ses contradictions, est le meilleur système social et politique, est le principal enjeu de cette élection américaine. Et de cela dépendent les résultats du 5 novembre, mais surtout l’attitude des candidats et de leurs supporters à l’annonce de ceux-ci.
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