Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Israël : le coup de force
par Jean-Baptiste Noé
Les attaques contre le Hezbollah à l’aide de biper et de talkies-walkies piégés témoignent de la force des services israéliens. Une opération efficace pour décapiter le Hezbollah comme pour créer un climat de crainte et de terreur pour l’ensemble des adversaires d’Israël.
Du jamais vu et une prouesse technique qui conserve encore plusieurs zones d’ombre. Mardi, ce sont près de 3 000 bipers qui explosent, de façon presque simultanée, tuant et blessant l’appareil d’action du Hezbollah. À peine remis de cette attaque, qui est aussi une humiliation, une seconde salve est tirée jeudi, cette fois-ci avec une attaque via des talkies-walkies. Le résultat obtenu est un démantèlement du système de fonctionnement du Hezbollah. S’il y a peu de morts (une douzaine), des centaines de membres de l’organisation sont gravement blessés, dont certains sont victimes d’amputation. Ils se retrouvent ainsi hors course pour plusieurs semaines.
Ces frappes chirurgicales, presque individualisées, ont également brisé les moyens de communication. Comment peut alors continuer de fonctionner l’organisation alors que son réseau de communication est détruit ? Pour Israël, c’est un coup de force magistral : des ennemis hors d’état de nuire, une organisation qui ne peut plus communiquer et surtout la peur et la crainte qui s’immiscent au sein même du Hezbollah. Comment avoir confiance quand même ce qui apparaissait comme sécurisé (un biper) est en réalité une dangereuse arme qui se retourne contre son porteur ? Israël a porté le coup le plus rude qui soit : la discorde et la terreur chez l’ennemi.
Filmer la légende
Dans cette opération il y a deux prouesses, manifestation de la force d’Israël. La première concerne les conséquences de l’opération, avec un Hezbollah humilité et attaqué en son cœur.
La seconde porte sur l’image perçue d’Israël et de ses services (dont le Mossad) dans le monde. La force repose aussi sur l’image, voire le mythe, que les organisations sont capables de véhiculer. La puissance de la CIA et du Mossad repose tout autant sur leurs actions réussies que sur celles qu’on leur attribue et sur l’influence et la force qu’on leur suppose. Une telle image se construit, notamment par de belles réussites. Incontestablement, cette opération accroît la puissance et le mythe du Mossad.
Si on ne connaît pas encore tout le fonctionnement de l’opération, sa complexité témoigne d’une maîtrise parfaite des chaînes d’organisation : sociétés écrans créées à l’étranger (notamment en Hongrie), agents dormants, planification qui s’échelonne sur plusieurs années, modification de près de 3 000 bipers pour y introduire une charge explosive (ce qui nécessite une lourde logistique). Une telle opération s’organise sur plusieurs pays et plusieurs années, tout en échappant à la suspicion du Hezbollah. Une prouesse, qui va encore renforcer l’aura des services israéliens, et qui lave leur honneur après l’échec du renseignement qui n’a pas vu la tuerie du 7 octobre.
Une guerre cognitive
De cet événement, n’en doutons pas, Hollywood tirera un film à suspense dont les grosses productions américaines ont le secret. Cette capacité à filmer et à mettre en scène la légende contribue à la renforcer et à développer la force des entités qui sont ainsi mises en scène. Le cinéma participe pleinement de la guerre cognitive, celle qui consiste à gagner par le contrôle des esprits et par l’imposition des manières de penser et de voir. C’est une guerre "par le milieu social", qui s’appuie à la fois sur le militaire, mais aussi sur la culture et sur la communication. Pour Israël, l’enjeu est à la fois de porter un coup fatal au Hezbollah et aussi de faire savoir que le coup a été porté, en donnant suffisamment de détail pour que l’on se rende compte de la complexité de l’opération, sans en donner trop pour assurer la sécurité de ceux qui l’ont menée. C’est l’art de distiller l’information et de faire savoir juste ce qu’il faut.
Car si c’est le Hezbollah qui fut visé, le message s’adresse à tous les ennemis d’Israël : Hamas et Iran compris. La crainte se diffuse ainsi partout : peut-être que les moyens de communication du Hamas et des hauts dignitaires iraniens ont eux aussi été manipulés, peut-être qu’eux aussi subiront un jour ce type d’attaque. Israël est ainsi parvenu à renverser la vapeur de la peur en portant la crainte sur ses ennemis. C’est là un admirable coup de force qui démontre ce que peut faire la maîtrise technologique. Un an après l’attaque du 7 octobre, les services israéliens ont ainsi démontré qu’ils pouvaient reprendre l’initiative du mouvement.
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