Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Été 2024 : un monde en feu
par Jean-Baptiste Noé
Loin de la torpeur estivale et du repos des vacances, l’été 2024 fut le théâtre d’une série d’événements multiples qui, sans avoir de liens entre eux, ont secoué le monde et ont témoigné de son imprévision.
Les événements de grande ampleur se sont succédé cet été, donnant le tournis aux observateurs. Ils ont engendré des conséquences qui se feront sentir dans les mois à venir, tant au niveau politique qu’économique.
En France, il y eut les JO réussis, sans problème sécuritaire ni logistique, ce qui est une excellente chose. Mais il ne faudrait pas passer trop vite par perte et profit les attaques du 26 juillet qui ont visé les nœuds de communication ferroviaire. Par leur ampleur, leur coordination, les moyens logistiques et humains qu’elles supposent, ces attaques sont une première en France, ouvrant un chemin inquiétant dans les actes d’écoterrorisme. Elles démontrent que les auteurs de ces actes maîtrisent les techniques de l’attaque, mais aussi la stratégie. S’en prendre au réseau ferré la veille des grands départs en vacances, paralysant l’ensemble des trains en France puisque tout, à un moment ou un autre, passe par Paris, est redoutablement remarquable de compréhension stratégique dans l’importance de contrôler les nœuds et les réseaux. Il est à craindre que ce type d’attaque ne soit qu’une première étape. Certes il n’y a pas eu de morts, mais dans l’atteinte portée à un État et à son économie, ces attaques sont beaucoup plus redoutables que les attentats islamistes de 2015.
En Angleterre, ce sont les terribles émeutes sociales qui ont embrasé le Royaume à la suite du meurtre de trois jeunes filles poignardées par un adolescent. Il y a beaucoup à dire sur ces émeutes, dont l’Angleterre mettra du temps à se remettre. Elles sont la conjonction d’une révolte sociale de populations déclassées, souvent méprisées, qui ont été atteintes dans leur chair par ce énième meurtre et le soulèvement d’associations violentes, souvent liées aux hooligans, qui ont profité de cette révolte sociale pour casser et assouvir leurs pulsions destructrices. À quoi s’ajoute une fracture ethnique béante, qui a vu des populations musulmanes affronter des populations anglaises dans un fossé culturel de plus en plus grand. Si l’ordre est revenu, rien n’est résorbé en Angleterre. L’intervention de la police a pu mettre un terme aux violences, mais elle ne résout en rien les problèmes sociaux et culturels du pays.
En Allemagne, l’événement est passé relativement inaperçu alors qu’il est lourd de conséquences. Les Allemands n’ont pas oublié les sabotages des gazoducs Nord Stream (septembre 2022) qui les privent du gaz russe dont leur économie a tant besoin. Chez eux, l’enquête s’est poursuivie, témoignant d’une réelle indépendance entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif. L’enquête a conclu à la responsabilité ukrainienne dans ce sabotage et a identifié plusieurs personnes ayant participé à l’opération. Si des zones d’ombre demeurent - Volodymyr Zelensky était-il au courant ? a-t-il donné son accord ? des pays tiers ont-ils aidé ? - l’implication de l’Ukraine et des hommes visés ne fait plus de doute. D’où le mandat d’arrêt lancé contre l’un des principaux protagonistes, réfugié en Pologne. Mandat que la Pologne a refusé d’exécuter, laissant le suspect quitter le pays et se réfugier en Ukraine, où la justice allemande ne pourra pas le rattraper. À l’humiliation des sabotages s’ajoute donc l’humiliation d’un pays membre de l’Union européenne qui a refusé d’appliquer les accords européens. C’est peu dire que les Allemands n’ont guère goûté l’attitude polonaise. La réaction n’a pas tardé : Berlin a annoncé l’arrêt de ses aides financières à l’Ukraine. Étant le deuxième pourvoyeur, c’est un rude coup pour Kiev. La solidarité européenne sur la guerre en Ukraine, qui avait jusque-là prévalu en Europe, bon an mal an, a sauté cet été. Au-delà du sujet ukrainien, la blessure est profonde outre-Rhin et les séquelles seront longues à résorber.
Aux États-Unis, c’est bien sûr le tour de passe-passe démocrate qui a permis de substituer Kamala Harris à Joe Biden. Une Kamala Harris investie sans passer par les primaires, ce qui fait tousser chez les électeurs démocrates, un Joe Biden dont tout le monde a fini par reconnaître ce qui se disait sous le manteau, à savoir qu’il n’a plus les capacités cognitives pour diriger la première puissance mondiale. Au-delà du show télévisé de l’investiture, il n’est pas certain que l’électeur démocrate ait goûté cet entre-soi et cette main mise du parti sur le souffle démocratique de l’Amérique. Cela ne renforce pas une démocratie américaine qui affiche ses fragilités aux yeux du monde.
Au Bangladesh, ce sont des émeutes improbables qui ont secoué un pays de 170 millions d’habitants. Le Premier ministre fut contraint de fuir sous la pression des étudiants, un gouvernement provisoire fut installé à la hâte. Le problème étant que si les manifestations furent légitimes à leur début, elles ont été noyautées par des mouvements islamistes en lien avec les services secrets pakistanais. L’Inde voit d’un très mauvais œil l’installation d’un gouvernement qui lui est ouvertement hostile et qui laisse pratiquer des violences et des exactions contre les populations bouddhistes et leurs lieux de culte. Des nettoyages ethniques sont en cours dans certaines zones du pays, ce qui ne rappelle jamais rien de ce bon dans cette région où les affres de la partition sont encore dans toutes les mémoires. Au Bangladesh, c’est le conflit Inde / Pakistan qui se poursuit, auquel s’ajoute la présence de la Chine qui voit d’un mauvais œil la prise en main d’Islamabad dans le delta du Gange. Nous sommes certes très loin des JO et du psychodrame de la naissance du nouveau gouvernement, mais ce qui se joue dans cette partie du monde entre puissances nucléaires et mastodontes démographiques et économiques est aussi crucial pour la France.
Pour chacun de ces pays, les problèmes de l’été n’ont pas été résorbés avec la fin du mois d’août. Les feux qui s’y sont allumés vont encore structurer leur politique de long mois durant.
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