Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Chypre : au cœur des dangers
par Jean-Baptiste Noé
Le sommet Med9 s’est tenu à Chypre le 11 octobre pour traiter des enjeux qui déstabilisent la Méditerranée, notamment la guerre au Proche-Orient et la question migratoire. Un sommet dans une île qui connaît toujours la partition et l’état de guerre.
Est-ce parce que Paphos est censé être la ville de naissance d’Aphrodite qu’elle fut choisie pour accueillir le sommet annuel des pays méditerranéens de l’UE ? Chypre est le pays le plus oriental de l’Union européenne, situé à 100 km des côtes de la Turquie et à 200 km de Beyrouth. La guerre qui sévit au Proche-Orient est donc dans son voisinage immédiat ; mais la guerre est aussi sur son sol même, depuis qu’en 1974 l’armée turque a envahi le nord de l’île. Membre de l’UE depuis 2004, Chypre est donc un pays officiellement en guerre, même si le conflit est gelé, avec présence d’un contingent de l’ONU depuis 1964, dont la capitale est coupée en deux par un mur, où quelques check-points permettent de passer d’une partie à l’autre.
Retour en Méditerranée
Avant que la guerre ne sévisse en Ukraine, c’est en Méditerranée orientale que les tensions se concentraient. Tensions entre la Grèce et la Turquie, qui avaient conduit Athènes à se fournir en Rafale, tensions avec la Turquie et la France, la frégate Courbet ayant été menacée en juin 2020 par la marine turque. Ce qui avait fait dire au président Macron que l’Otan était "en état de mort cérébrale". Si les guerres qui frappent l’Ukraine et le Proche-Orient ont éclipsé Chypre et la Méditerranée orientale, les ferments des tensions n’ont pas disparu dans cette zone. D’où l’importance de ce sommet Med9, dans lequel est convié le roi Abdallah de Jordanie, preuve de l’importance de ce pays dans l’ordre régional.
Entre la Turquie et Chypre, aucune solution ne semble possible. La partition de 1974 a conduit à une épuration ethnique de l’île, les Grecs quittant le nord pour le sud, les Turcs le sud pour le nord. Les deux communautés vivent désormais séparément, chacune avec son gouvernement et sa monnaie, même si la République turque de Chypre du nord n’est officiellement reconnue que par la Turquie. Depuis 2004 et l’entrée de Chypre dans l’UE, ce conflit est donc inséré à la Communauté européenne, même si en vingt ans aucun progrès ne fut réalisé. Le statu quo arrange beaucoup de monde, personne ne voyant comment la partie nord pourrait rejoindre le sud ni comment les deux communautés pourraient vivre dans un même pays. C’est l’un des paradoxes de Chypre où la guerre gelée contribue à la paix et à la stabilité de l’île. Le millier de soldats onusiens est présent pour la forme et surveille une zone grise plantée de villages abandonnés.
Les migrants et le gaz
Aujourd’hui, les dangers de Chypre concernent surtout les migrants et le gaz. La population de Chypre sud est de près de 730 000 habitants. Or, située face au Liban, l’île reçoit de nombreux migrants, notamment syriens. Près de 25 000 Syriens sont ainsi arrivés en 2023, ce qui est beaucoup pour une île de cette taille. Les capacités d’accueil sont saturées et l’île estime ne pas assez recevoir de l’UE, avec parfois l’impression que les autres pays se contentent de transformer Chypre en hub d’accueil. Dans une terre où les équilibres entre chrétiens et musulmans sont précaires et sources de tensions, l’arrivée de milliers de réfugiés du Proche-Orient fait craindre la fin des équilibres et la bascule vers la guerre.
L’autre grand sujet est celui du gaz, dont d’importants gisements sont en cours d’exploration et de production, faisant de la Méditerranée orientale une réserve gazière majeure. Des gisements situés en mer, donc soumis à la délimitation de la ZEE. La Turquie fait ainsi pression pour que ce soit le plateau continental qui soit pris en compte dans cette délimitation, et non pas le point de côte, ce qui lui permettrait d’annexer plusieurs gisements actuellement sous souveraineté de la Grèce et de Chypre. Une bataille juridique pour tracer les frontières maritimes qui réveille le spectre de la guerre entre monde turc et monde grec.
Au Med9 de Paphos, les dirigeants européens ont pu goûter le soleil chypriote et la beauté des sites archéologiques et du front de mer. Mais dans le ciel bleu de la Méditerranée, les nuages s’accumulent et font craindre un retour des conflits, faisant de cette région la mer de tous les dangers.
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