Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Roumanie, Géorgie : l’Europe questionnée
par Jean-Baptiste Noé
Nombreux sont les pays européens à être en ébullition politique. Manifestations entre partisans de l’ouest et de l’est, positionnement radical sur l’OTAN et l’UE, autant de forces politiques contraires qui déchirent les pays.
Il n’y a pas qu’en France que la situation politique est compliquée. Sur le continent européen, de nombreux pays sont traversés par des courants politiques contradictoires qui menacent leur cohésion. Roumanie, Moldavie, Géorgie, chacun avec son histoire propre et ses spécificités, mais tous avec un affrontement entre partisans et opposants de l’Union européenne et de l’OTAN. Vu de France, cela peut nous paraître lointain, ces pays étant à la périphérie de l’Europe. Mais dans le domaine de la géographie, tout lieu est à la fois centre et périphérie selon l’échelle adoptée et le positionnement appliqué. La Géorgie est au centre du Caucase, comme la Roumanie est au centre de l’Europe de l’Est et au cœur des enjeux de la mer Noire. Ce qui s’y passe est donc crucial pour l’avenir.
Roumanie : OTAN, stop ou encore ?
Les élections présidentielles roumaines ont été mouvementées. Au premier tour, c’est Calin Georgescu qui est arrivé en tête (23 %) face à Elena Lasconi (19 %). Si l’écart entre les deux est faible, leurs divergences politiques sont fortes. Alors que Lasconi veut maintenir la Roumanie dans l’OTAN et poursuivre l’alignement de la Roumanie sur les États-Unis, politique classique depuis la fin du communisme, Georgescu veut lui une rupture stratégique et politique nette en demandant le retrait de la présence de l’OTAN du territoire roumain. Il craint en effet que cette présence entraîne une escalade dans le conflit ukrainien et que la Roumanie soit entraînée malgré elle dans la guerre. Il est vrai que depuis l’invasion de l’Ukraine, la Roumanie est devenue la base arrière du conflit.
Lieu d’entraînement de nombreux régiments ukrainiens, les armées alliées défilent et s’installent en Roumanie pour former les forces ukrainiennes. C’est notamment le cas de la France qui, dès 2022, a envoyé des formateurs et des instructeurs en Roumanie. Ce pays périphérique s’est donc retrouvé mêlé au conflit russo-ukrainien, comme il se retrouve aussi au cœur des enjeux de la mer Noire, du fait de sa façade maritime. La Roumanie est en face de la Crimée, à quelques kilomètres d’Odessa et dispose surtout d’une large frontière avec l’Ukraine ainsi qu’avec la Moldavie, qui est une cible potentielle de l’armée russe. La guerre d’Ukraine est donc à leur porte et tout ce qui s’y passe, de guerre ou de paix, les concerne directement. Il est donc logique que cela soit un thème majeur des élections présidentielles.
Le second tour devait se tenir le 8 décembre. Mais vendredi 6, dans l’après-midi, la Cour constitutionnelle a annulé le processus électoral au motif d’une suspicion d’ingérence russe. De qui accroître les tensions et aggraver la crise démocratique.
Géorgie : des manifestations sans fin
Les grandes manifestations du printemps ont repris en Géorgie. Depuis le 28 novembre, le centre-ville de Tbilissi est le théâtre nocturne des protestations contre le gel du processus d’intégration à l’UE. Là aussi, le pays est divisé en deux, entre ceux qui regardent vers Bruxelles et ceux qui regardent vers Moscou. La tension politique est forte, les affrontements avec les forces de l’ordre se déroulent toutes les nuits, le pays est plus fracturé que jamais et surtout sans solution. Les dirigeants actuels s’accrochent au pouvoir, sans remise en cause, leurs soutiens défendant une alliance avec la Russie, quand les opposants regardent vers l’Occident. Des manifestations sans fin et sans solution tant il n’y a rien à négocier quand les avis et les opinions sont aussi divergents et tranchés.
Outre la fragilité interne de ces pays, ce que démontrent ces manifestations et ces divergences politiques, que ce soit en Moldavie, en Roumanie ou en Géorgie, c’est que la guerre d’Ukraine va au-delà du théâtre d’opérations ukrainien. La question du rapport à la Russie et à l’Europe traverse de nombreux corps sociaux, tiraille les consciences politiques. Cela donne l’impression de revivre, trente ans plus tard, les grandes interrogations qui n’ont pas été posées au moment de la disparition de l’Union soviétique. Il y a trente-cinq ans, tous ces pays étaient soit intégrés dans l’URSS, soit satellites, de l’URSS.
Une génération plus tard, le rapport à Moscou est de nouveau posé, comme modèle attractif pour les uns, répulsifs pour les autres. Comme si l’histoire se répétait, comme si se rejouaient les espoirs et les craintes de la décennie 1990. Mais il y a trente-cinq ans, l’Europe faisait rêver et ne doutait pas d’elle-même. Aujourd’hui, elle est un répulsif pour certains et elle est remise en cause au sein même de son territoire. L’invasion de l’Ukraine, derrière la guerre strictement militaire, a rouvert un autre conflit, celui des idées et des représentations. Il n’est pas le plus facile à gagner.
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