Chronique
Le Bitcoin chamboule la guerre des monnaies
par Jean-Baptiste Noé

Depuis sa création en 2009, le Bitcoin ne cesse de provoquer des réactions tranchées. Ses partisans le présentent comme un outil révolutionnaire, quand ses opposants y voient une lubie de geeks qui n’a aucun avenir. Après un premier pic en 2017, où il était monté à près de 15 000 $, il s’était brutalement effondré, perdant plus de 50 % de sa valeur. Ses détracteurs y virent la preuve qu’il n’était qu’une bulle sans lendemain.

Pourtant, sept ans plus tard, non seulement il est toujours utilisé, mais il atteint des records. Nouveau sommet atteint fin 2021, à plus de 60 000 $, puis nouvel effondrement pour, fin 2024, remonter de nouveau et atteindre les 100 000 $. Une barre symbolique que ses partisans annonçaient pouvoir atteindre un jour. Mais en 2017, cela paraissait un doux rêve.

Le Bitcoin et la guerre des monnaies

Au-delà des spéculateurs qui espèrent gagner beaucoup en peu de temps, le Bitcoin s’immisce dans la guerre des monnaies à laquelle se livrent les grandes puissances. La monnaie n’est pas qu’un instrument d’échange et une réserve de valeur, c’est aussi un levier et un moyen de puissance. Payer en dollar, c’est se soumettre au droit américain. Nombreux sont les grands groupes français à en avoir subi les conséquences. Payer en dollar, c’est aussi renforcer la puissance américaine, en donnant aux États-Unis davantage de latitude pour emprunter, aux frais des autres. C’est également être dépendant d’eux et subir les crises que connaissent les États-Unis, comme celle de 2009.

Les Chinois l’ont bien compris qui veulent imposer leur monnaie alternative, le renminbi, non seulement pour commercer dans la zone asiatique, mais aussi, pourquoi pas un jour, réaliser les transactions en Europe et au Moyen-Orient dans cette monnaie. Avec la montée en puissance du renminbi, ce sont aussi les banques chinoises et les systèmes informatiques chinois de flux monétaires qui sont favorisés. La puissance passe aussi par la monnaie. C’était le cas déjà sous l’Antiquité et c’est toujours le cas aujourd’hui.

Le Bitcoin pourrait donc être une alternative à cette guerre des monnaies, un moyen de se passer des banques centrales et des politiques monétaires des États. En somme, retirer à la puissance étatique l’un de ses moyens de coercition et de force. C’est le rêve des libertariens et des anarchistes, l’espoir aussi de ceux qui vivent dans des pays à très forte inflation et qui peuvent trouver dans cette monnaie numérique décentralisée de quoi ne pas perdre leurs économies.

Donald Trump en chevalier du Bitcoin

Si l’administration Biden s’est montrée rétive à l’égard du Bitcoin, renforçant la réglementation et les taxes, toute autre est la position de Donald Trump qui, entouré de personnalités issues de la tech, a dit vouloir faire des États-Unis la terre d’accueil des cryptomonnaies.

Rêve d’Elon Musk, qui espère ainsi dynamiter la monnaie comme il l’a fait avec l’automobile et l’espace. Mais rêve aussi d’une frange non négligeable de penseurs et d’hommes d’affaires américains pour qui le Bitcoin signe le retour aux sources du rêve américain, celui d’une terre où tout est possible et qui a vocation à guider le monde.

Si le dollar est officiellement créé en 1792, plusieurs monnaies ont cohabité aux États-Unis tout au long du XIX^e siècle et la Fed ne fut créée qu’en 1913. Le développement du Bitcoin entre dans la stratégie des partisans de Trump soucieux de démanteler l’État central pour redonner plus de pouvoir aux États fédérés. C’est donc aussi un enjeu de politique intérieure, même si on voit mal le Bitcoin remplacer le dollar. C’est là que la politique cryptomonétaire de Donald Trump risque de rencontrer une contradiction : la puissance américaine reposant sur le dollar, toute faveur pour les cryptomonnaies affaiblit la monnaie américaine. Pour quelqu’un qui veut redonner à l’Amérique sa grandeur, il ne s’agira pas d’affaiblir l’un de ses piliers porteurs.