Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
La tornade Trump
par Jean-Baptiste Noé
En moins d’un mois, Donald Trump a renversé la table à coups d’annonces tonitruantes. De la politique intérieure aux relations internationales, rien n’est épargné. Jusqu’où et pour quels résultats ?
Seule une maîtrise parfaite et millimétrée de la communication peut donner un tel naturel. Assis à une table, entouré de grands enfants, tous blancs, certaines filles en chasuble de basket, Donald Trump signe un décret sur la protection des mineurs, une boîte remplie de stylos-feutres à ses côtés. Puis il montre le parafeur aux enfants présents et aux appareils photo, avant de distribuer les stylos, mi-souvenirs, mi-reliques. Jamais la communication autour de la signature des décrets présidentiels n’aura été autant médiatisée, tel un businessman qui signe des contrats. Il s’agit de démontrer que Donald Trump agit et qu’il ne perd pas de temps, "pour rendre à l’Amérique sa grandeur ".
Un ennemi : le temps
Il faut dire que de temps, Donald Trump en manque. Dans quatre ans, il ne sera déjà plus président. Dans deux ans, au moins, la campagne 2028 sera lancée, dans vingt moins, ce sont les mid-terms, généralement défavorables au président en place. Donald Trump pourrait donc perdre la faible majorité dont il dispose. Il faut donc aller vite, s’agiter et montrer ce que l’on fait pour lutter contre son pire ennemi : le temps.
Fini l’impréparation du premier mandat. Pour ce second Trump, tout a été préparé en amont. Les équipes ont été formées, les décrets pré-écrits. Il n’y a plus qu’à appuyer sur le bouton, c’est-à-dire à signer dans une mise en scène soignée.
Sur l’économie, Trump a peu de prise, le temps économique étant toujours plus long que le temps politique. C’est donc sur l’immigration qu’il peut réellement agir, et qu’il se doit d’obtenir des résultats, pour montrer que ses promesses sont réalisées. Même s’ils ne jouent pas une réélection, c’est ce qui restera à la postérité qui est en jeu dans les succès qu’il doit obtenir.
Tornade Trump
Conscient du peu de temps dont il dispose, Donald Trump s’est lancé dans une véritable tornade, notamment dans les relations internationales. Ukraine, Panama, Canada, Groenland, Gaza transformée en "Riviera", bras de fer avec la Chine, pour l’industrie, et avec les Européens, pour l’OTAN et l’économie, tout y passe. Les annonces succèdent aux annonces, les alliés sont suspendus et muets, notamment sur le Groenland, les voisins sont stupéfaits. Voilà donc le Mexique qui a décidé de lutter contre les usines clandestines de fentanyl et de disposer une partie de son armée à sa frontière afin de limiter les passages. Un bon point a immédiatement été donné : les sanctions tarifaires sont reportées d’un mois.
Au Canada, le Premier ministre en sursis Justin Trudeau essaye de sortir la tête haute, sous les moqueries d’Elon Musk et les coups de boutoir de Trump. La société canadienne étant américanisée, une intégration aux États-Unis ne changerait pas grand-chose dans leurs modes de vie. Mais le fait de le dire bouleverse la philosophie des relations internationales qui repose sur l’intangibilité des frontières.
Si les États-Unis peuvent prendre le Canada et le Groenland, parce que c’est leur intérêt, pourquoi la Chine ne prendrait pas Taïwan, la Russie le Donbass et le Rwanda le Kivu ? Si la force et l’intérêt l’emportent sur le droit, si les frontières ne sont que des lignes temporaires, pourquoi ne pas revoir les tracés en Europe centrale, en Asie, en Afrique ? L’art du deal trumpien ne tient que s’il est seul à le pratiquer. Sinon, c’est le chaos. Et c’est cette stratégie du chaos que Donald Trump conduit, déjà expérimentée sous Nixon, pour aboutir à un nouvel ordre mondial. Au risque et péril de la sûreté du monde, de la lassitude des alliés, de l’éloignement des clients. Déjà, en Amérique latine, la Colombie se tourne vers la Chine, son voisin du Pacifique. Si le marché américain se ferme, il faudra bien en trouver un autre.
Trump dit ne pas vouloir la guerre et refuser les interventions étrangères des États-Unis, le voilà pourtant réalisant une annonce plus que surprenant sur Gaza. D’autant plus surprenant qu’il a l’assentiment d’Israël.
La promenade des Américains
Faire de la bande de Gaza une nouvelle "Riviera " ? Sur le papier, oui. Il y a la mer, le soleil, les gisements de gaz au large des côtes. Mais il y a aussi le Hamas et une population meurtrie par les bombardements. L’annonce surprise de Trump est surtout une façon de mettre la pression sur les pays arabes, qui disent aimer la Palestine, mais qui ne témoignent pas de beaucoup d’amour pour les Palestiniens. Le message est clair : la meilleure façon de soutenir la cause palestinienne n’est pas de financer le Hamas et le Hezbollah, mais la reconstruction et le développement.
Or l’argent du pétrole coule peu en Palestine, où le soutien arabe est surtout nominal. Israël en a profité pour mettre la pression sur les Européens. Le ministre de la Défense a ainsi affirmé que les pays d’Europe, dont l’Espagne et l’Irlande, qui avaient soutenu les Palestiniens, ont le devoir moral et légal d’accueillir chez eux les réfugiés. Puisque ni l’Égypte ni la Jordanie ne veulent des Palestiniens, pourquoi ne pas les transférer vers Madrid ou Dublin ? Décidément, les migrants et les réfugiés n’ont pas cessé d’être un enjeu politique et un objet de manipulation et de pression. Dans le chaos trumpien, c’est l’une des rares choses qui, malheureusement, reste stable.
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