Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
La guerre du commerce
par Jean-Baptiste Noé
Donald Trump lance une guerre commerciale tous azimuts qui passe par les tarifs douaniers et les normes environnementales. Les Européens n’ont pas le choix : ils doivent entrer dans la guerre du commerce.
Le commerce adoucit-il les mœurs ? C’est la théorie des économistes qui, depuis le XVIIIe siècle, évoquent "le doux commerce", qui permet d’acquérir des biens par l’échange et non par la guerre et la rapine. Comme le rappelait Murray Rothbard dans son Anatomie de l’État, il n’y a que deux façons d’acquérir un bien : par la libre coopération, c’est-à-dire l’échange, ou par le vol, qui passe souvent par la guerre.
Sakoku
Mais quand les autres ne veulent pas échanger ? Ou bien qu’ils établissent des règles, commerciales ou normatives, que nous refusons de suivre ? Alors, nous entrons dans une autre sphère du commerce, qui est celle de la guerre du fort contre le faible. Ce que fait Donald Trump aujourd’hui est ce que les Européens ont fait hier, en Asie, quand ils dominaient les mers.
Les Japonais ont nommé cette politique sakoku, ou "fermeture du pays". De 1650 à 1842, ils adoptent une série de mesures pour fermer l’accès du Japon aux Occidentaux. Expulsion des missionnaires chrétiens, interdiction des bateaux étrangers dans les ports, limitation drastique du commerce. Les Européens firent tout pour forcer l’entrée au Japon, sans succès. La politique du sakoku prit fin en 1853, quand le commodore Perry, à l’aide de sept navires de guerre, força le Japon a signé un traité "de paix et d’amitié", qui ouvrait l’accès aux ports et au marché nippon. La politique de la canonnière pratiquée par les Américains fut un succès.
Les guerres de l’opium (1839-1856) entre l’Angleterre et la Chine sont, elles aussi, une guerre du commerce, des tarifs douaniers et de l’accès aux marchés. "Le doux commerce", s’il existe, s’accompagne souvent de l’odeur de la poudre et du cri de la force. Donald Trump ne fait que s’inscrire dans ces pas.
Se soumettre et se démettre
Ce ne sont pas de simples hausses de tarifs douaniers que menace d’appliquer Donald Trump, mais une réciprocité tarifaire et normative qui va toucher l’Europe de plein fouet. Il a donc demandé à une commission de dresser la liste des pays qui ne respectent pas, selon lui, les règles de réciprocités commerciales. Le rapport sera rendu le 1er avril ; les premières mesures pourront être prises dès le mercredi 2. Il ne s’agit pas d’augmenter les tarifs douaniers, ce qui pénaliserait les consommateurs américains ainsi que l’industrie qui doit se fournir à l’étranger, mais d’appliquer des tarifs équivalents à ceux des autres pays.
En clair, si les droits de douane dans un pays d’Europe sont plus élevés que ceux des États-Unis, Washington relèvera les siens. Il s’agit ici d’un bras de fer qui vise non pas à augmenter les tarifs américains, mais à contraindre les Européens à baisser les leurs. Donc à favoriser le commerce et les échanges, et donc à ouvrir de nouveaux marchés aux entreprises américaines. C’est le retour du commodore Perry et de la canonnière. Mais cette fois-ci avec un stylo-feutre et un parafeur.
D’autant que le courroux américain ne s’applique pas que sur les tarifs douaniers, mais aussi sur les normes sociales et environnementales. Si l’Europe veut sanctionner des produits américains qui ne respectent pas son agenda écologique, alors elle sera sanctionnée en retour. Et Donald Trump annonçant vouloir sortir de l’accord de Paris, les pays d’Europe vont vite se retrouver en situation de grande fragilité normative. L’Europe n’est pas une île, seule au milieu de l’océan de la mondialisation. La Chine la dépasse avec ses voitures électriques, les États-Unis lui sont supérieurs avec son pétrole et son IA.
Donald Trump ne mène pas une politique protectionniste au sens où beaucoup l’entendent, c’est-à-dire ériger des murs pour se protéger du commerce extérieur. Il met en place un protectionnisme offensif, qui vise à rendre plus concurrentielles les entreprises américaines, par exemple en ne suivant plus les normes écologiques, et en faisant usage de la force américaine pour ouvrir les marchés. Un travail de perce-muraille appliqué au commerce. Les Européens vont devoir se réveiller pour ne pas se faire cambrioler.
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