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éditorial / Laurent Bigorgne

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par Laurent Bigorgne

"L’agitprop" autour de la taxe Zucman et plus généralement de la fiscalité se poursuit et les débats à l’Assemblée nationale sont bien partis pour faire l’impasse sur nos difficultés budgétaires. Pourtant, des voix s’élèvent désormais pour dénoncer la double situation de déni et d’impasse dans laquelle nous nous trouvons. Notre système de protection sociale est devenu insoutenable financièrement et il sape les bases de l’équité intergénérationnelle comme de l’action publique. C’est ce que démontre courageusement et brillamment l’ouvrage que vient de publier Nicolas Dufourcq sur notre « dette sociale ».

26/10/2025 - 06:30 Lecture 8 mn.

La fiscalité, éternelle rustine des populistes 

 

L’élection présidentielle au suffrage universel direct aiguise sans limite toutes sortes d’appétits politiques. Nous lui devons sans doute de compter parmi les seuls pays européens au redoutable privilège d’entretenir à un aussi haut niveau populismes d’extrême droite et d’extrême gauche : 35% d’intentions de vote au 1er tour pour Bardella, 6% pour Zemmour et 15% pour Mélenchon, selon Toluna Harris Interactive ce mois d’octobre. 

Les sondages ne sont que des sondages, particulièrement quand ils sont effectués au cœur d’une des plus graves crises institutionnelles traversée par notre pays depuis 1958. Il n’en reste pas moins que les candidats anti-système représentent à date plus de 50% des intentions de vote au premier tour… Dans ce contexte, l’avertissement que nous a lancé l’agence Moody’s dans la nuit de vendredi à samedi parait très clair. Elle nous a certes maintenu son "double A", mais en nous plaçant néanmoins sous perspective négative : à ses yeux notre "instabilité risque de limiter la capacité du gouvernement à répondre aux défis-clés que sont le déficit budgétaire élevé, la hausse du poids de la dette, l’augmentation durable des coûts des emprunts". 

Encore Moody’s n’a-t-elle pas assisté aux discussions sur la partie "recettes" du PLF qui ont débuté vendredi, les socialistes menaçant de faire tomber le gouvernement si une taxation nouvelle sur le patrimoine n’était pas instaurée dès ce week-end. Dernière mouture : un impôt minimum de 3% sur les patrimoines à partir de 10 millions d’euros, incluant les biens professionnels, mais excluant de l’assiette les entreprises familiales et celles dites "innovantes" … 

 

Le retour de l’hydroxychloroquine 

 

Une version toujours aussi inepte de la "taxe Zucman", mais très dégradée selon son promoteur, opportunément invité sur France Inter ce samedi matin pour faire la leçon aux socialistes : évoquant 1981, il a rappelé qu’"à l’époque, sous la pression des milliardaires, le pouvoir socialiste avait voté une exonération pour les biens professionnels, c’est-à-dire les grosses détentions actionnariales. Résultat : les milliardaires ne payaient pas, et n’ont jamais payé l’ISF", dixit Zucman, dont les diatribes ressemblent de plus en plus à celles de Jean-Luc Mélenchon. Nous reste la lucidité du sénateur Claude Malhuret pour nous en prémunir, lui qui estime que "la taxe Zucman est à la croissance ce que l’hydroxychloroquine était au Covid". 

Au moment de cette nouvelle saillie radiophonique, les députés votaient le maintien d’une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus jusqu’à un retour du déficit sous les 3%, qui devrait rapporter 1,5 milliard d’euros en 2026… dont on peut faire le pari qu’elle ne sera en réalité jamais supprimée puisque nous devons faire face à des engagements inédits en temps de paix, que retrace Nicolas Dufourcq dans un ouvrage fascinant, La dette sociale de la France : 1974-2024*, qui vient de paraître. 

 

Le mirage d’une protection sociale infinie 

 

Ce travail vaut par le formidable récit qu’il fait de la dérive de notre protection sociale – les années Rocard en prennent par exemple pour leur grade ("la première occasion manquée") – et par les entretiens si divers – politiques, économistes, syndicalistes, hauts fonctionnaires et conseillers ministériels… - qu’il a conduits. L’auteur dit tout ce que Piketty, avant la présidentielle de 2012, et Zucman désormais, préfèrent taire sur notre système de protection sociale qui est si puissamment redistributif. Il commence par le commencement : sur les 3 500 milliards d’euros de dettes de la France, "2 000 milliards au minimum sont des prestations sociales versées depuis quarante ans à crédit. La dette finançait 1% des dépenses annuelles en 1980, contre 10% aujourd’hui". 

La thèse est simple : on a vendu aux Français le mirage d’une "protection sociale infinie" et ils ont accepté de bon gré cet "État providence toujours plus généreux assis sur une économie qui ne croît plus car la démographie du pays, aggravée par de vieux archaïsmes, l’en empêche". Nous y sommes, car "les campagnes électorales n’ont donc jamais exercé leur rôle de correction des dérapages de notre psychologie collective".

Le patron de Bpifrance depuis 13 ans, grand serviteur de l’action publique, dit ce que notre situation financière ne peut désormais plus cacher : "si l’université, la recherche, la justice sont pauvres, c’est qu’on a tout misé sur les retraites et plus généralement sur le social". La ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, l’a parfaitement illustré à l’Assemblée cette semaine : "sur les 52 milliards de contributions pour payer les retraites des fonctionnaires, nous montrons clairement qu’il y a 11 milliards de cotisations employeurs dites "normales" et 41 milliards liés à une cotisation d’équilibre". Et de souligner qu’ "il n’y a que 0,9 fonctionnaire pour 1 retraité, nous avons plus de retraités (…) que d’agents titulaires qui travaillent" ! 

À tous ceux qui pensent que la fiscalité et la disparition des bases taxables qui en découlera inexorablement sont la solution, ce livre rappelle que "les trois quarts de l’augmentation des dépenses publiques depuis 1975 sont issus des prestations sociales" et qu’ "on ajoute au grand livre de l’État 100 milliards de dette sociale supplémentaire chaque année". C’est à ce problème qu’il faut s’attaquer ici et maintenant, comme cela a été fait partout ailleurs en Europe et les voies sont connues : "désindexations, moratoire sur les nouveaux droits, augmentation de l’âge de départ en retraite, et accessoirement suppression de jours fériés". Sans quoi "la charge annuelle des intérêts va monter à 120 milliards d’euros en 2030, et le taux moyen de notre dette passera au-dessus de la croissance économique en valeur" … CQFD

 

* Nicolas Dufourcq, La dette sociale de la France : 1974-2024, Odile Jacob, octobre 2025.

 

laurent@fnxlb.org

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