éditorial / Laurent Bigorgne
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Laurent Bigorgne
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Jamais deux sans trois ?
par Laurent Bigorgne
L’adage a été déjoué cette semaine, puisque Sébastien Lecornu est parvenu à faire adopter à l’Assemblée nationale le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026, là où Michel Barnier et François Bayrou ont échoué. Ce n’est pas rien, même si ce texte est objectivement mauvais. Quelle lecture faire de ce vote ?
On a presque oublié que Michel Barnier, opposé au vote du PLFSS 2026 en l’état, a chuté le 4 décembre 2025 après avoir eu recours à l’article 49.3 de la Constitution pour l’adoption du PLFSS 2025, censé ramener le déficit des comptes sociaux à 17,5 milliards d’euros. Deux motions de censure avaient alors été déposées, la première recueillant les suffrages de 331 députés. Du jamais vu sous la Ve République !
Une spirale négative
Si le PLFSS 2026 est définitivement adopté mardi prochain à l’Assemblée, le déficit des comptes sociaux devrait passer in fine de 23 milliards en 2025 à 24 milliards d’euros en 2026 (ramené comptablement à 19,4 milliards d’euros car l’État va apporter 4,5 milliards à la Sécurité sociale, dont il n’a pas le premier centime). Des niveaux inédits hors période de crise économique, de guerre ou d’épidémie. Sur cette lancée, on voit mal comment le déficit ne dépasserait pas 25 milliards d’euros en 2027.
Aucune mesure d’économie significative parmi celles proposées par le gouvernement n’a été retenue : refus du gel du barème de la CSG, des pensions et des prestations sociales, et même la limitation du remboursement des cures thermales… En revanche, la fiscalité a de nouveau servi de variable d’ajustement : augmentation de la CSG sur les revenus du capital, taxe sur les complémentaires santé… que les assurés finiront, bien sûr, par payer.
Il nous a évidemment été beaucoup expliqué ces dernières semaines que notre pays est devenu un enfer pour l’hôpital et les soins faute de moyens. L’Insee nous rappelle utilement qu’en 2024 les deux premiers postes de dépenses publiques dans notre pays étaient les dépenses de protection sociale (41,5 % des dépenses publiques) et les dépenses de santé (15,6 %). François Ecalle nous rappelle sur Fipeco que le rapport dépenses publiques sur PIB a augmenté de 11 points entre 1975 et 2024, dont 8,4 points liés aux prestations sociales.
Cette dérive avait conduit Claude Bébéar, le fondateur d’AXA, auquel il a été rendu hommage jeudi, à proposer en 1996 d’ouvrir la Sécurité sociale au secteur privé, proposition combattue bien au-delà de la gauche, notamment par Jacques Barrot et Alain Juppé… Trente ans après, "le camp du bien" et "les voix de la raison" n’ont pas su empêcher des déficits structurels qui interrogent à terme la pérennité de notre modèle social.
Le PLFSS peut-être, pour le reste…
Le locataire de Matignon vient de franchir une étape délicate, puisque le vote s’est joué dans un mouchoir de poche, 247 voix "pour" et 234 "contre". Le Sénat a néanmoins rejeté le texte qui lui était présenté vendredi en adoptant une "question préalable". Décidément, Bruno Retailleau, farouchement opposé à ce "budget de gauche", tient mieux ses troupes au Palais du Luxembourg qu’au Palais Bourbon, où 18 députés sur 49 de la Droite républicaine ont voté pour le texte mardi dernier, contribuant de manière décisive à son adoption.
Deux remarques s’imposent. D’abord, le vote définitif qui aura lieu mardi 16 décembre à l’Assemblée devrait être encore très serré. Les députés LR qui ont apporté leurs voix au texte le feront-ils à nouveau ? Les écologistes maintiendront-ils leur abstention (26 abstentions, 3 pour, 9 contre) ? - alors que LFI va exercer une pression maximale sur l’ensemble de la gauche, conforme à ses méthodes sectaires. Le député LFI Louis Boyard a donné le ton : "Pour quelqu’un qui a voté écolo, c’est une trahison". À trois mois des élections municipales, que reste-t-il du "Nouveau front populaire" ?
Ensuite, la configuration ayant permis l’adoption du PLFSS a peu de chances de se reproduire pour le projet de loi de finances. Le PLF, rejeté à l’unanimité moins une voix par l’Assemblée le 21 novembre, est actuellement en discussion au Sénat jusqu’à mardi prochain. Puis, il arrivera en commission mixte paritaire, avant de retourner à l’Assemblée… on voit mal comment un compromis pourrait se former dans des délais aussi contraints.
Sur ce front, Sébastien Lecornu mêle volontarisme et habileté : il a profité mercredi de la présentation de sa stratégie de défense pour demander aux députés de se prononcer sur le "principe d’une augmentation du budget des armées" en 2026. La marche à franchir représente une augmentation de 6,7 milliards d’euros. 411 députés (RN, UDR, Droite républicaine, LIOT) se sont prononcés pour celle-ci et 88 contre (LFI, communistes).
2027 en ligne de mire
Derrière l’exercice de surplace au Parlement, théâtre depuis octobre d’une sorte de guerre de position, le vote favorable au PLFSS s’est en effet construit sur des lignes de force esquissant qui esquissent un paysage politique qui se cherche à l’approche de l’élection présidentielle de 2027.
Un important dirigeant d’entreprise publique me faisait fort justement remarquer cette semaine que ce qui se joue à gauche, c’est le retour d’une forme d’autonomie stratégique du PS par rapport à LFI. Cette cause-là progresse et François Hollande n’a pas été le dernier à voter le PLFSS et il ne cache pas qu’il ne voterait pas la censure en cas d’utilisation du 49-3. À droite, l’affrontement à fleurets plus ou moins mouchetés entre Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau prend le président des Républicains à revers plus souvent qu’à son tour. Un jour quand Laurent Wauquiez propose une primaire à droite "de Gérald Darmanin à Sarah Knafo", un autre quand il avance que la Droite républicaine ne doit "pas être un facteur de blocage, vu les avancées obtenues" à l’Assemblée. Quant au bloc central, Edouard Philippe a montré une certaine fébrilité en cherchant à mettre ouvertement en difficulté le Premier Ministre, dont il est pourtant proche, sur le vote du PLFSS.
Plus aucun vote ne semble pouvoir être décorrélé de l’élection présidentielle qui a lieu dans 16 mois. Ce n’est pas très surprenant. Les jeux individuels empêchent pour l’heure l’expression d’une vision politique qui serait autre chose qu’un plus petit dénominateur commun – nous avons besoin d’un budget même s’il est mauvais. Ce n’est pas très surprenant non plus, mais c’est très inquiétant. Qui trouvera l’audace de se démarquer et de proposer un autre horizon aux Français ?
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