Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Envoyer une force internationale en Ukraine ?
par Jean-Baptiste Noé
Faut-il envoyer une force internationale en Ukraine ? La réponse est complexe, tant les mots sont piégés et les enjeux de sécurité et de souveraineté particulièrement sensibles.
En diplomatie, on se bat pour des mots et des virgules. Pas uniquement pour la beauté du style et l’amour de l’art rhétorique, mais parce que les mots sont piégés, que leurs sens sont multiples, et qu’en fonction de la langue, ils peuvent désigner des réalités sensiblement différentes. Le cas se pose pour l’Ukraine. Pour assurer la sécurité du pays sur le long terme, faut-il envoyer une force internationale ? Premier écueil, quel nom lui donner, second écueil, quelle mission lui confier ?
Quelle force ?
Si l’on parle de "force de maintien de la paix", cette disposition est régie par le droit international et s’effectue sous l’égide de l’ONU, les célèbres "casques bleus". Mais l’ONU peut aussi donner mandat à une structure internationale pour envoyer des troupes, dans le cadre d’un mandat bien défini. Ce peut être aussi des États qui demandent à d’autres une intervention, cas par exemple de Barkhane et Serval.
Les Européens, Angleterre et France en tête, parlent d’une "force de réassurance", afin d’assurer la sécurité à long terme du pays. Mais la Russie refuse toute présence militaire européenne qui pourrait s’apparenter à une opération de l’OTAN à ses frontières.
Pour que l’ONU puisse valider une opération militaire, il faut l’accord du Conseil de Sécurité, où la Russie dispose d’un droit de veto. Rien ne peut donc se faire sans Moscou, ni sur la forme ni sur le fond.
Quelle force en effet envoyer en Ukraine ? Une force internationale ou européenne, une force provisoire ou à longue durée ? Et pour quelle mission ? Éviter une nouvelle attaque russe ? Former l’armée ukrainienne ? Assurer la police et la sécurité dans les zones dont la guerre se retire ? Au-delà des mots, la réalité de la mission va buter sur des considérations politiques et militaires compliquées.
Des opérations souvent inutiles
On comprend l’objectif des Européens : déployer leur armée en Ukraine pour dissuader la Russie d’attaquer. Mais le front s’étire sur plus de 1 000 km, il faut donc de nombreux hommes et matériels pour surveiller et tenir une telle ligne. Hommes et matériels dont les Européens ne disposent pas.
Déployer une force, mais pour quel but ? Surveiller le front, c’est-à-dire la réalité du cessez-le-feu, ou l’arrière, c’est-à-dire la protection des infrastructures ? Dans les deux cas, c’est exposer les armées européennes au feu russe. En cas de bavure, de tirs non prévus, d’affrontements, ce qui ne manque jamais, comment les armées européennes devront-elles réagir ? Ne rien faire, c’est donner toute puissance à la Russie, riposter, c’est repartir dans le conflit, avec cobelligérance européenne.
L’un des aspects essentiels d’une mission de déploiement de l’ONU est l’impartialité des forces déployées, qui ne doivent être ni pour un camp ni pour l’autre. Ce n’est pas le cas ici des Européens, qui soutiennent l’Ukraine contre la Russie. Déployer des armées européennes en Ukraine c’est donc s’engager plus avant dans le conflit. On voit mal la Russie accepter un tel état de fait.
Une question de souveraineté
Mais déployer des forces étrangères pose aussi des questions de souveraineté. Une présence militaire européenne en Ukraine signifierait que Kiev passe sous tutelle européenne, avec présence étrangère sur son sol. Si ces missions sont toujours provisoires, elles durent toujours beaucoup plus longtemps que la date de fin prévue. Bien souvent, elles apparaissent même comme sans fin. C’est le cas à Chypre, où une mission de l’ONU est déployée depuis 1964, sans qu’aucun terme ne soit prévu. C’est le cas au Liban, depuis 1978, là aussi pour une opération sans fin, comme au Cachemire, où la mission d’observation a débuté en 1949. La menace pesant sur l’Ukraine étant celle de la Russie, il n’y a aucune raison que cette menace disparaisse dans les décennies qui viennent. Une mission infinie pour une souveraineté ukrainienne qui serait fortement dégradée, à rebours du souhait des Ukrainiens.
L’entrée du conflit dans une phase diplomatique ne simplifie pas le problème. Pour les Européens, il va falloir se mettre d’accord entre eux et ensuite convaincre l’Ukraine et la Russie. Une opération où il faudra faire usage de beaucoup de diplomatie.
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