éditorial / Yves de Kerdrel
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Yves de Kerdrel
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Mais, que fait donc Emmanuel Macron ?
par Yves de Kerdrel
Le Chef de l’État apparaît absent de la scène politique française et internationale alors que les élections législatives pourraient être moins favorables que prévu pour la majorité présidentielle. Ni lui, ni sa Première Ministre n’ont fait preuve de grande solidarité avec un Gérald Darmanin empêtré dans l’affaire du Stade de France. Et c’est Bruno Le Maire qui gère seul, pour l’instant, la conception du paquet pouvoir d’achat qui sera présenté le 29 juin en Conseil des Ministres.
"Il faut que tout change pour que rien ne change". Cette phrase extraite du magnifique roman Le Guépard, publié après la mort de son auteur, Giuseppe Tomasi, Prince de Lampedusa, a été trop souvent utilisée, voire dévoyée. Elle illustre, ce que ce magnifique roman au style si dépouillé raconte, c’est-à-dire la fin d’un monde, la prise de conscience par une aristocratie que c’en est fini de ses châteaux, palais et alliances consanguines. Jean d’Ormesson a repris ce même thème avec "Au plaisir de Dieu". Et la série à succès "Downton Abbey" a montré que cette nostalgie de "la fin d’un monde" est toujours aussi populaire.
Pourquoi parler de cela ce matin. Non pas pour combattre l’angoisse de la page blanche. Mais parce que le paradigme de l’ordre mondial change sous nos yeux à la vitesse grand V sans même que nous en prenions totalement conscience. Après quarante ans de baisse ininterrompue des taux d’intérêt qui ont conduit le capitalisme industriel à se financiariser et à creuser les inégalités, nous nous apprêtons à renouer avec la hausse des taux d’intérêt. L’inflation qui avait disparu, notamment grâce à la mondialisation et avec l’entrée (par accident) de la Chine dans l’OMC, revient en fanfare. Et davantage en Allemagne qu’en France où les boucliers tarifaires mis en place il y a quelques mois jouent leur rôle d’amortisseur. Mais surtout la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine a contribué à mettre fin à l’ordre mondial tel qu’il a été défini après la Chute du Mur de Berlin.
L’ordre mondial et la planète, tous deux, en danger
Tout change vraiment et il n’est pas du tout certain, cette fois-ci, à la différence du débarquement de Garibaldi en Sicile et de ses fameuses "chemises rouges" dont faisait partie le neveu préféré du "Guépard", qu’à la fin des fins, tout reste comme avant. Car pour la première fois l’ordre mondial est bousculé dans un contexte où la planète se trouve mise en danger, non pas par des missiles balistiques, mais simplement par l’épuisement des matières premières et par l’émission d’un trop gros volume de dioxyde de carbone qui entraîne des désordres climatiques au moins aussi dangereux qu’une guerre. Comme le montre La Lettre de L’Expansion qui sera publiée demain, pour la première fois depuis des dizaines d’années, près de 2 milliards d’êtres humains pourraient être confrontés, cette année, à la faim. Et l’histoire nous a souvent apporté la preuve que la faim conduit à des déplacements massifs de population et à des conflits inévitables.
Beaucoup d’économistes parlent d’un changement de paradigme lié simplement au "renversement" de la courbe des taux d’intérêt, au retour de l’inflation, et à une forme de récession qui pointe son nez, même si Bruno Le Maire a affirmé n’en voir aucun signe. Les politiques, comme les banquiers centraux, nous paraissent par ailleurs bien imprudents en annonçant la fin de cette vague inflationniste au terme de l’année prochaine. Cette inflation a trois origines principales. L’une conjoncturelle liée à de multiples chocs d’offre en raison de la désorganisation du commerce mondial. Actuellement, plus de 2000 porte-conteneurs attendent devant le port de Shanghai la levée du confinement. Les deux autres raisons sont plus structurelles. Il y a le plein-emploi qui caractérise de très nombreuses économies, sauf la France. Et pour finir, la transition écologique qui renchérit toute notre manière de vivre. Voilà pourquoi on ne pourra pas dire, à la fin de cette curieuse période que nous traversons, que "rien n’aura changé".
De nouvelles allocations du capital au niveau mondial
Beaucoup de choses vont être radicalement modifiées qu’on le veuille ou non ; qu’on le regrette ou pas. Les entreprises vont désormais attacher plus d’importance à leurs performances extra-financières qu’à leurs soldes intermédiaires de gestion. Elles y sont déjà contraintes par le marché (voir le succès de l’indice CAC 40 ESG lancé par Euronext) davantage que par des activistes climatiques qui ne servent pas la cause qu’ils prétendent défendre. La spirale prix-salaires va être remplacée par une spirale prix-profits, qui va contraindre les entreprises à relever les salaires d’autant plus qu’elles ne parviennent pas à embaucher.
Enfin l’arrivée des "millenials" aux commandes des entreprises et des gouvernements va transformer le regard porté sur la création de richesses, avec la priorité donnée à "l’humain" aux dépens de la moindre opportunité de profit. Reste la question de la rémunération du capital qui sera davantage liée à des paramètres de responsabilité sociétale. Jusqu’ici il était important de distribuer un dividende pour assurer la rémunération de l’argent investi par des investisseurs californiens ou norvégiens. Désormais ceux-ci vont choisir d’apporter leur écot aux entreprises qui respectent la vie et la planète, les minorités et les genres, la bonne gouvernance et une parfaite "compliance".
Une majorité relative pour le gouvernement ?
En attendant, les embrouilles politiciennes continuent de nourrir l’actualité avec le feuilleton, cette semaine, consécutif aux ratés du match Liverpool-Real de Madrid, il y a huit jours, au Stade de France. Il a fallu attendre mercredi et une audition devant la Commission des Lois du Sénat pour que Gérald Darmanin esquisse un très timide "mea culpa" après s’être emmêlé les pinceaux dans des explications, des chiffres et des interprétations assez peu crédibles. À côté de cela les présentations purement factuelles d’Amélie Oudéa-Castéra, ont paru bien plus satisfaisantes et professionnelles. Mais il restera de cet épisode une nouvelle incapacité du ministre de l’Intérieur à appréhender des phénomènes de désordre et de violence qui risquent, hélas de s’accroître et de se renouveler.
Cela a naturellement apporté de l’eau au moulin des extrêmes à quelques jours du premier tour des élections législatives. Si bien que selon un sondage Elabe publié en milieu de semaine la "NUPES" (25%) et Ensemble ! (24.5 %) sont au coude-à-coude dans les intentions de vote exprimées, et ne devancent que très légèrement le Rassemblement National (22 %). Quant aux candidats LR/UDI (12.5 %) ils sont largement distancés. Bien sûr il y a loin de la coupe aux lèvres entre ces scores nationaux et le nombre de sièges obtenus lors d’un scrutin uninominal à deux tours par circonscription. De fait, selon la projection d’Elabe, la majorité présidentielle et ses alliés auraient le plus grand nombre de sièges mais sans certitude d’obtenir la majorité absolue. Cela se situe dans une fourchette entre 275 et 315 sièges. De son côté, la "Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale" (France Insoumise, Europe Écologie Les Verts, Parti Socialiste, Parti Communiste, Génération.s) obtiendrait entre 155 et 180 sièges. Ce qui est colossal et constituera un véritable danger politique. Le Rassemblement National aurait entre 35 et 65 sièges. Quant aux Républicains et leur alliée, l’UDI, ils obtiendraient entre 40 et 65 sièges, soit moins de la moitié de leur position à l’Assemblée lors de la précédente législature.
Le spectre d’un retour en force des 49-3
Le plus surprenant, ce ne sont pas ces estimations, qui pourront être démenties par le véritable scrutin des 12 et 19 juin, mais l’absence, voire la disparition du Chef de l’État. Qu’il laisse Élisabeth Borne en première ligne pour conduire la majorité présidentielle, c’est logique sur le plan institutionnel. Mais le problème, c’est que la Première Ministre est elle-même totalement absente et n’occupe pas le terrain. Or sans crier avant même d’avoir mal, il ne faut pas sous-estimer le danger que représente un tel nombre de sièges obtenu par une extrême gauche dont le programme politique ferait de la France un "Venezuela sans soleil ni pétrole". Et le danger se trouverait amplifié si, de surcroît la majorité présidentielle n’a qu’une majorité relative. Dans ce cas, le pays risque d’être gouverné avec une litanie de 49-3.
Alors bien sûr Emmanuel Macron a sorti son idée de Conseil National de la Refondation qui fait un drôle d’écho au Conseil National de la Résistance dont les premières mesures prises après la libération ont contribué aux rigidités dont notre pays souffre et peine à se débarrasser. Bien sûr c’est toujours louable de vouloir dialoguer avec les corps intermédiaires. Mais pour l’heure cette idée d’un nouveau "CNR" ressemble surtout à un "sauve-qui-peut" face à la vague d’extrême gauche. Par ailleurs, la nature ayant horreur du vide, c’est Bruno Le Maire qui occupe le terrain pendant ce temps avec une longue interview dans le Figaro, suivie d’une émission sur France Inter et d’une interview sur Cnews ce matin. L’occasion pour le locataire de Bercy de laisser filtrer les grandes lignes de son "paquet Pouvoir d’achat" qui sera présenté en Conseil des Ministres le 29 juin, soit le lendemain de l’élection par la nouvelle Assemblée Nationale de celui qui occupera "le perchoir". Et quelques jours après un séminaire gouvernemental qui réunira les ministres et secrétaires d’État choisis de manière définitive en fonction des résultats des législatives.
La France toujours absente sur le dossier Ukrainien
Il reste qu’en dehors du sommet de Bruxelles destiné à décider d’un embargo sur le pétrole russe, d’un passage à Cherbourg où a été faite l’annonce de la commande d’un rapport sur les urgences hospitalières, et d’une visite à Marseille pour annoncer que les mathématiques redevenaient "une option en première", le Chef de l’État est resté invisible. Bien sûr il a donné une interview à la PQR dans laquelle il repousse à l’été 2023 la réforme des retraites. Mais il a laissé à Catherine Colonna le soin d’aller à Kiev et aux Italiens, celui de proposer une solution pour mettre fin à la guerre en Ukraine.
C’est regrettable pour la Présidence Française de l’Union Européenne qui s’annonçait comme un temps fort de notre chère Europe. Il est probable qu’avant que celle-ci se termine, Emmanuel Macron se rendra enfin en Ukraine, seul, ou avec Olaf Scholz. Mais il veut y faire un coup d’éclat. Or chacun sait depuis longtemps que "le bruit ne fait pas de bien et le bien ne fait pas de bruit" surtout à l’occasion d’un conflit qui, même cantonné au Donbass, pourrait rebattre les cartes de l’ordre mondial, s’il devait se prolonger en reconstituant un axe sino-russe. Comme Henry Kissinger l’a très bien rappelé à Davos, à la veille de ses 99 ans et à la réunion annuelle du Bilderberg ce week-end.
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