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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

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Jean-Baptiste Noé

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Le Kazakhstan veut bâtir une nouvelle ère
par Jean-Baptiste Noé

Le référendum du 5 juin a validé les réformes constitutionnelles proposées par le président Kassym-Jomart Tokayev. Celui-ci a réaffirmé sa volonté de bâtir un nouveau Kazakhstan, en réformant les structures juridiques, politiques et économiques du pays. C’est indéniablement un nouveau départ pour le pays d’Asie centrale, qui cherche à affirmer son indépendance et son autonomie vis-à-vis de ses voisins russe et chinois.

11/06/2022 - 08:30 Lecture 9 mn.

 

"Les amendements à la Constitution sont cruciaux pour notre pays. Les changements affecteront un tiers de ses articles. C'est pourquoi j'ai proposé de soumettre cette question à un référendum républicain, car des changements d'une telle ampleur doivent être réalisés sur la base de la volonté du peuple." Ainsi le président Kassym-Jomart Tokayev annonçait-il lors d’une conférence de presse début mai l’organisation d’un référendum pour avaliser une série de réformes constitutionnelles. Il s’agit du premier référendum depuis 1992. La forte participation et la victoire du "oui" ont permis d’adopter les réformes proposées qui vont transformer le fonctionnement et la philosophie politique du pays, en donnant davantage de pouvoir au Parlement et en en retirant au Président.

Le système juridique est lui aussi complètement revu, comme l’explique le Président Tokayev dans l’allocution prononcée après le référendum : "Le Kazakhstan a besoin d'un système juridique qui protège au maximum les droits et les intérêts des citoyens et des entrepreneurs. La législation ne doit pas contenir de normes qui entraveraient le développement stable du pays. Toutes les normes douteuses et non conformes doivent être abolies." Une mise en conformité aux standards juridiques mondiaux qui vise tout autant à améliorer la situation interne qu’à faciliter le développement économique du pays.

 

Fin des oligarques

 

Devenu indépendant à la chute de l’URSS (1991), le Kazakhstan a longtemps eu un système économique reposant sur du capitalisme de connivence, des privatisations des entreprises publiques effectuées aux bénéfices des proches du Président Nazarbaïev et un contrôle des ressources énergétiques par des oligarques. En poste depuis 2019, le Président Tokayev est décidé à changer cela et à créer une véritable liberté économique : "Maintenant, nous devons établir des règles du jeu transparentes et équitables dans l'économie, réformer la législation. Il est important d'éradiquer tous les monopoles artificiels et d'ériger une barrière fiable contre la corruption. […] Nous devons réviser la législation qui a contribué à la concentration des ressources économiques du pays entre les mains d'un petit groupe d'individus et leur a fourni des préférences inutiles." Une attaque à peine voilée contre les oligarques, encore puissants dans le pays même si leur aura diminue.

Ces réformes ne se sont pas faites sans heurts comme en témoignent les violentes manifestations de janvier 2022. Ces protestations, d’abord pacifiques et populaires à la suite du doublement du prix du gaz de pétrole liquéfié, sont rapidement devenues violentes et factieuses lorsque des bandes armées ont débordé les premiers manifestants. Refusant les réformes en cours, un certain nombre d’oligarques ont tenté de renverser le Président Tokayev afin d’interrompre le processus de rénovation.

Un président qui a été sauvé d’une part par l’intervention des troupes russes, qui ont contribué au maintien de l’ordre en tenant l’aéroport de la capitale, et d’autre part par le soutien de l’ancien président, qui est resté fidèle à son successeur et ne s’est pas levé contre lui, comme certains de ses familiers auraient aimé qu’il fasse. Sorti victorieux de cette grave crise politique et sociale, qu’il a lui-même qualifiée de "tentative de coup d’État", Tokayev est d’autant plus légitime pour achever ses réformes et assurer le passage à "un nouveau Kazakhstan", comme il l’a rapporté dans son discours post-référendum.

 

Une triple transition

 

Le référendum achève la mise en place d’une triple transition.

Politique d’abord, car derrière la fumée des émeutes sont rapidement apparus les réseaux des clans qui se partageaient le pouvoir et les postes de hauts fonctionnaires depuis des décennies, et qui sont désormais menacés par la démonopolisation économique et politique orchestrée par l’administration Tokayev depuis 2019.

Transition sociale ensuite, qui voit les structures claniques traditionnelles et les anciens dirigeants formés à l’époque soviétique, se confronter à une jeune population urbaine de familles nucléaires réclamant une amélioration de leur niveau de vie et l’accès aux droits démocratiques. La lutte contre la corruption, les inégalités et le chômage, la gestion de l’urbanisation et de l’inflation ou encore la restructuration du système éducatif suscitent de vives attentes à travers le pays. Tokayev doit aujourd’hui répondre à ces demandes de la population – 31 ans en moyenne – dont la majorité n’a pas connu l’ère soviétique (52 % aujourd’hui).

Économique, enfin. En affichant sa volonté de lutter contre le capitalisme de connivence, en mettant un terme aux monopoles et en garantissant l’activité économique par la refonte du droit, l’administration Tokayev cherche à élever le niveau de vie des habitants et à attirer les investisseurs étrangers, notamment européens. L’enjeu est aussi de diversifier l’économie afin que celle-ci ne repose pas uniquement sur l’exploitation des ressources énergétiques : "Nous devons soutenir les initiatives des entrepreneurs, protéger pleinement la propriété privée et accroître la concurrence. Il y a beaucoup de travail à faire pour vraiment diversifier l'économie. Il est nécessaire de prendre des mesures pour développer une agriculture hautement productive, un puissant système de transport et de logistique, et pour former partout un écosystème numérique."

Les réformes interdisent aux parents proches du président d’occuper des postes stratégiques dans la fonction publique et parapublique. Elles permettent, selon les mots empreints de libéralisme de Tokayev dans un discours du 16 mars, rien de moins que "l'éradication du favoritisme et des monopoles dans toutes les sphères de la vie." À noter également le passage à un système électoral mixte proportionnel et majoritaire, la facilitation du multipartisme, la décentralisation de l’État ou l’accent qui est mis sur les droits de l’homme via la création d’une Cour constitutionnelle et le renforcement des pouvoirs du commissaire aux droits de l’homme.

Le référendum est un moyen idéal pour Tokayev de légitimer et d’imposer sur le long terme son projet politique. Il pourrait être, à cet égard, une étape politique capitale dans l’ancienne zone soviétique en Asie centrale. Lui-même a par ailleurs réaffirmé que ce référendum n’était qu’une étape dans la transformation du pays et nullement un terme.

 

La fenêtre européenne

 

Soucieux d’affirmer son indépendance à l’égard de la Russie, le Kazakhstan regarde désormais vers l’Union européenne, qui est devenue le premier partenaire commercial et le premier investisseur étranger au Kazakhstan (40 % des échanges et 40 % des investissements). La voie sur laquelle Tokayev s’engage est une main tendue aux pays européens pour consolider les partenariats bilatéraux sur la base de valeurs partagées autour des principes démocratiques. Au moment où la Russie envahit l’Ukraine et où la Chine souhaite renforcer ses routes de la soie, le Kazakhstan tente de sortir de l’enfermement de l’Asie centrale pour se rapprocher des Européens.

Si le projet géopolitique réussit, il pourrait entraîner derrière lui les autres pays de la zone, qui veulent éviter de se retrouver enfermés dans un match Moscou / Pékin avec les talibans de Kaboul à leur périphérie. Les réformes organisées par Tokayev sont donc aussi importantes sur la scène intérieure que pour la projection mondiale du pays.

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