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Yves de Kerdrel
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Où est la sortie ?
par Yves de Kerdrel
La loi portant la Réforme des retraites a été promulguée, vendredi dans la nuit. Elle est évidemment légitime et elle s’impose à tous. Mais l’exécutif doit chercher à tout prix à apaiser un pays devenu éruptif. Ce qui est difficile avec un Chef de l’État qui continue à provoquer les partenaires sociaux. Avec en ligne de mire un 1er mai qui sera la « fusion de toutes les colères ». Dans un pays marqué par la hausse des prix, l’érosion du pouvoir d’achat et l’effondrement de la consommation.
La loi du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 a donc été promulguée vendredi soir et diffusée samedi matin à 3 h 10 par le Journal Officiel. Le Chef de l’État n’a pas répondu à l’appel de Laurent Berger qui l’a supplié, lors du journal de 20 heures de vendredi, de ne pas promulguer la loi. Emmanuel Macron ne pouvait pas, de toute façon, faire autrement, puisque la Constitution lui impose de promulguer la loi dans un délai de quinze jours.
À partir du moment où l’intersyndicale a refusé d’aller à l’Élysée mardi prochain, cela ne servait à rien d’attendre pour que cette loi devienne définitive. Maintenant la seule échéance qui demeure, c’est celle du 3 mai avec la réponse du Conseil Constitutionnel à la seconde demande de Référendum d’Initiative Partagée déposée par la Nupes et qui intègre cette fois-ci une taxation du capital.
Le rendez-vous dangereux du 1er mai
Mais le véritable rendez-vous à venir aura malheureusement lieu dans la rue comme nous le laissions présager dimanche dernier avec un appel à manifester partout le 1er mai. Ce défilé traditionnel des syndicats pour la fête du travail va être très politisé cette année avec à la fois les Insoumis et le Rassemblement National dans le cadre d’une "fusion des colères" qui va largement dépasser la simple contestation du report de l’âge de légal de la retraite à 64 ans.
Ce défilé sera sans doute aussi massif qu’il y a vingt et un ans pour manifester contre la présence au second tour de l’élection présidentielle de Jean-Marie le Pen. Mais il risque d’être, hélas, beaucoup moins pacifique. Et il faut s’attendre à voir des débordements de violence partout en France. Comme cela a été le cas jeudi dernier à Nantes et à Rennes en marge de la douzième manifestation nationale. Ou encore vendredi soir après l’annonce de la décision du Conseil Constitutionnel.
Les insupportables procès en illégitimité
Le Chef de l’État doit maintenant à la fois trouver la sortie à la nasse dans laquelle il s’est lui-même enfoncé, mais aussi à cet insupportable procès permanent en illégitimité qui nourrit le climat de violence auquel on assiste partout dans le pays. Il n’est pas supportable que le Palais Royal soit transformé en fort Knox avec des barrières gigantesques et des rangées de CRS. Jamais depuis 1958, on a vu cela. Il n’est pas normal que certains contestent la légitimité des Sages. De fait ils remettent en cause la légitimité de la Loi. Et maintenant ils contestent aussi le fait qu’Emmanuel Macron a été élu sur un programme portant la réforme des retraites.
Bien sûr, les provocations permanentes du Chef de l’État à l’égard des syndicats sont stupides. Bien sûr la méthode utilisée par la Première Ministre peut être discutée. Bien sûr, il y a un grand problème de respect de tous les corps intermédiaires quels qu’ils soient (syndicats, maires, associations…). Mais tout cela ne justifie pas que l’on remette en cause la Constitution et la manière – fût-elle inhabituelle, comme l’ont souligné les Sages – dont Emmanuel Macron s’en sert.
Une prise de parole risquée
Le Président de la République va intervenir à la télévision demain soir à 20 heures. De manière à reprendre l’initiative qui, depuis quelques semaines est passée dans les mains des syndicats. Or il a en horreur de ne pas pouvoir être le maître du calendrier, ou celui des horloges. Il reste que cela ne sert à rien de faire une allocution télévisée s’il n’a rien à dire. Et si cela porte sur un nécessaire rappel à l’ordre, on peut hélas craindre qu’il jette à nouveau de l’huile sur le feu.
Reste l’hypothèse d’un remaniement, qui interviendrait après le 3 mai, en fonction de ce que dira le Conseil Constitutionnel. Car Élisabeth Borne est maintenant "usée" et privée de toute marge de manœuvre. La solution Larcher que nous évoquons ici depuis deux semaines a bien été étudiée par Emmanuel Macron. Mais il n’en veut pas pour l’instant. Car il souhaite toujours présider avec un Premier Ministre "transparent". C’est pourquoi il ne songe plus qu’à deux solutions : Julien Denormandie d’une part et Gabriel Attal d’autre part. Deux solutions qui ne font pas vraiment rêver.
Les marchés surveillent aussi ce qui se passe dans la rue
Il y a un autre souci. Car si cette réforme des retraites a été faite, en partie, pour satisfaire les marchés, ceux-ci sont aussi attentifs à ce qui se passe dans le Pays. La presse américaine ou la presse allemande est très critique à l’égard d’Emmanuel Macron et du climat éruptif dans lequel nous vivons. Avec à sa Une des photos de voitures incendiées ou de barricades en feu dans Paris. Le FMI a encore une fois insisté sur la nécessité de cette réforme.
Il reste qu’au cours de la semaine passée, le taux de rendement de l’OAT à 10 ans est passé de 2,74 à 2,93 %, soit 20 points de plus. Cette année la charge de la dette va coûter environ 70 milliards d’euros aux Français. Ce qui constituera, de loin, le premier poste budgétaire. Et l’an prochain, cela représentera bien plus que le montant de l’impôt sur le revenu.
Forte chute de la consommation
Pour l’heure, c’est la hausse des prix alimentaires qui ronge le pays et notamment les classes moyennes. Même si une enquête du cabinet Alixio, reprise par le quotidien Les Échos, la semaine dernière, montrait que les entreprises prévoient d’augmenter leur enveloppe de rémunération de 4,5 % en moyenne en 2023, le sentiment général est celui d’une forte érosion du pouvoir d’achat. C’est ce que constatent déjà les grands groupes de distribution.
Au cours du premier trimestre, d’après le cabinet Circana, les ventes de la grande distribution ont progressé en valeur de 9 %. Mais en volume elles ont chuté de 9 %. Ce qui est considérable. Si bien qu’on est maintenant retombé en dessous des niveaux de 2019 alors que depuis, la population a progressé de 0,3 %. Cette baisse de la consommation affecte particulièrement certaines familles de produits : la viande, le poisson, les légumes, l’épicerie salée et les produits d’entretien.
La hausse des taux touche à sa fin
Selon les données définitives publiées par l’Insee vendredi matin, l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) en France ressort à 119,8 points en mars 2023 (base 100 en 2015). Ce qui représente une progression de 1 % sur un mois et de 6,7 % sur un an. Et ce n’est pas la hausse du Smic de 2 % qui va permettre d’apaiser cette érosion du pouvoir d’achat. Car on observe un tassement des salaires dans le bas des grilles de rémunérations. Dans le secteur privé et encore davantage chez les fonctionnaires.
Quant à la hausse des taux de la BCE, l’essentiel est fait selon François Villeroy de Galhau qui estime que le sujet le plus important est désormais la durée des taux élevés. La principale question est désormais la répercussion sur l’économie de ce resserrement monétaire. Selon la littérature académique les délais de transmission de la politique monétaire à l’activité économique atteignent entre un et deux ans. Pour l’instant, les économies européennes – à l’exception du Royaume-Uni – se portent plutôt bien. Ce qui se reflète dans les performances inédites des indices boursiers en proie, sans doute à une exubérance irrationnelle.
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