Chroniques / Jean-Baptiste Noé
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Jean-Baptiste Noé
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AUKUS : rêve ou illusion ?
par Jean-Baptiste Noé
La nouvelle étape du partenariat AUKUS ratifié à San Diego sous l’égide de Joe Biden est loin de faire l’unanimité, au Royaume-Uni et en Australie. Son coût et son intérêt stratégique sont remis en cause, en plus de susciter les frictions de Pékin.
Il faisait beau à San Diego ce 13 mars, sous un ciel bleu californien. Devant la mer, sous les flonflons et les petits drapeaux, les Premiers ministres d’Australie et du Royaume-Uni ont donné une conférence de presse avec le président des États-Unis pour ouvrir un nouveau chapitre de l’AUKUS, cette alliance des Anglo-saxons dans la zone pacifique. "Pour la première fois, trois flottes de sous-marins travailleront ensemble dans l’Atlantique et le Pacifique afin de maintenir nos océans libres, ouverts et prospères pour les décennies à venir" a annoncé Rishi Sunak. Une allocution qui rappelle la défense constante de la liberté des mers par les États-Unis et l’Angleterre. Mais cette fois-ci, il ne s’agit plus de défendre la route des Indes, mais d’opposer une résistance à la montée en gamme de la Chine. Joe Biden l’a clairement présentée comme une alliance de l’Indo-pacifique "et ce n’est que le début" a-t-il ajouté au cours de cette allocution.
Sous le ciel bleu de San Diego, la réunion des trois dirigeants anglo-saxons avait un mélange de loi prêt bail de 1942 et de conférence de guerre froide des années 1960.
Méfiance chinoise
La Chine se montre très méfiante à l’égard de cette alliance, dont elle a bien compris qu’elle est dirigée contre elle. Voilà Washington qui recrée l’OTAN, mais cette fois en Asie. Pékin a ainsi condamné, dans la foulée de San Diego, "la voie erronée et dangereuse" de ce partenariat, notamment le programme de sous-marins nucléaires. Pour Moscou, les États-Unis préparent "des années de confrontation" en Asie. De quoi les accuser d’être des fauteurs de guerre.
Mais derrière l’unanimité de façade se cachent des fissures qui lézardent la participation australienne. La rupture du contrat avec la France n’a pas fait l’unanimité, à la fois pour des raisons techniques et géopolitiques. Les sous-marins évoqués sont certes beaux, mais ils sont chers, très chers, et ne seront opérationnels que dans au minimum quinze ans.
Le rêve du carnet de chèques
Pour faire accepter le partenariat et le contrat, le gouvernement australien a sorti l’argument du carnet de chèques : les dépenses liées à l’AUKUS sont estimées à 368 milliards de dollars. Une bonne dépense keynésienne censée remettre à flot l’industrie australienne, créer des emplois et relancer l’économie. L’annonce du programme est en effet assortie de la promesse de créer 20 000 emplois. Mais comme l’a fait remarquer la presse australienne, cela fixe le coût de l’emploi à 18 millions de dollars. Pas évident que cela soit rentable. Dire que l’Australie doit se doter de ces sous-marins afin de se prémunir d’une attaque de la Chine dans les prochaines années, notamment contre Taïwan, c’est oublier que lesdits sous-marins seront livrés au cours des années 2030, soit après le moment supposé où est censée se dérouler la guerre.
C’est oublier aussi le temps des distances, navales et aériennes, qui fait que l’Australie est loin d’être un voisin de la Chine, dans un espace indo-pacifique immense. L’Australie s’interroge aussi sur la pertinence d’une alliance avec le Royaume-Uni, perçue comme un pays déclinant et qui n’a plus les moyens de ses ambitions mondiales. Le travailliste anglais Keir Starmer, possible Premier ministre si son parti gagne les prochaines élections, a ainsi affirmé sa volonté de se recentrer sur l’Europe pour affronter les nouvelles menaces issues de la Russie. Pour Londres, les Moluques, les Spratleys et la Tasmanie ne sont pas des enjeux essentiels. Nouvelle alliance donc, mais des nuages stratégiques, en dépit du beau temps à San Diego.
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