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Chroniques / Bernard Spitz

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Bernard Spitz

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Paris-Rome : Une histoire importante
par Bernard Spitz

L’Union Européenne arrive aujourd’hui à un moment de bascule sur des sujets essentiels où France et Italie se retrouvent alignées, souvent plus qu’avec l’Allemagne. Alors que Giorgia Meloni revient de Berlin et que les ministres de l’économie français et allemand sont partis à Washington négocier les suites de l’IRA, l’équilibre et la vitesse des réformes en Europe dépendront beaucoup de la dynamique entre Paris et Rome. “Una storia importante” entre nos deux pays, comme le titre d’une chanson célèbre d’Éros Ramazzotti.

07/02/2023 - 09:45 Lecture 10 mn.

L’Europe à l’heure des choix

 

Un an déjà que le traité du Quirinal a été signé entre la France et l’Italie. Depuis, les deux pays ont un autre Premier ministre, les majorités parlementaires ont changé, la guerre a éclaté en Ukraine, l’Inflation a pris son envol et les taux d’intérêt avec elle, le prix de l’énergie a explosé, la transition climatique reste un défi, la Chine s’est rouverte tandis que la confrontation redouble entre l’Occident et le reste du monde…

Les choix que fera - ou ne fera pas - l’Union Européenne sur des sujets aussi essentiels que la défense, l’énergie, l’industrie, tout comme sa capacité à affirmer son autonomie et ses valeurs démocratiques face au bouleversement géopolitique actuel, décideront de son avenir.

Et même si nous sommes 27, et même si quelques grands pays ont plus de poids que d’autres, et même si la réconciliation avec l’Allemagne a été le pilier fondateur de l’Union, la page à venir de l’histoire de l’Europe passera de façon singulière par la relation franco-italienne. Au moment précis où le traité du Quirinal entre en vigueur, nos deux pays peuvent et doivent jouer ensemble un rôle central face aux trois grands défis qui se présentent à tous les Européens.

 

Le défi de la puissance

 

Le premier défi est celui de la puissance et de la souveraineté. Nos deux pays ont fait clairement le choix du soutien à l’agressé contre l’agresseur. Le soutien diplomatique et militaire à l’Ukraine, qui se traduit par la décision de livrer des missiles sol-air fabriqués par la France et l’Italie, amène à voir plus loin. Il s’agit de repenser notre défense européenne, son articulation avec l’OTAN, la coordination de nos forces armées, nos programmes de fabrication militaire avec notamment Thales et Leonardo, notre feuille de route spatiale, nos choix de protection cyber. L’Atlantisme italien devra se conjuguer avec la tradition française gaullienne, alors même que l’Union a perdu avec le Royaume-Uni une part importante de sa capacité d’intervention extérieure.

Se pose aussi la question de nos intérêts souverains en Méditerranée : plutôt que de polémiquer sur le port d’arrivée des bateaux de migrants, nos deux pays ont un intérêt commun à sécuriser nos frontières extérieures, revoir l’équilibre responsabilité-sécurité au sein de l’Union, réviser les accords de Dublin et mettre fin au “second marché” intra-européen de l’asile. N’oublions pas enfin la gestion de la relation avec la Turquie et notre présence en Afrique que nos efforts conjoints permettraient de traiter avec plus d’efficacité face à la pression venue de Chine ou d’ailleurs, si l’on pense au gâchis en Libye par exemple.

 

Le défi de la compétition économique

 

Le second défi est celui de la compétition économique et commerciale. L’enjeu en est le retour à une autonomie mise à mal dans certains secteurs par le Covid et les chocs géopolitiques. Soyons conscients que cet effort s’inscrit dans un cadre financier extraordinairement tendu par notre endettement alors que les taux d’intérêt poursuivent leur remontée. Tout ce que nous ferons ensemble aura du poids en Europe. Sinon, si le jeu des intérêts purement nationaux est laissé à son libre cours, la puissance allemande fera naturellement prévaloir ses intérêts comme cela s’est passé pour l’énergie ou les relations avec Pékin ; et l’Union désunie se verrait déclassée dans ses rapports avec les États-Unis et l’Asie, Chine et Inde compris comme on l’a vu à Bali lors des derniers B20-G20 et plus récemment à Davos.

Sujet central entre tous : l’énergie. Nos choix respectifs ont différé, ils restent néanmoins complémentaires, y compris s’agissant de nos fournisseurs. Ils pourraient converger rapidement dans le futur, notamment autour de la nouvelle génération nucléaire. Politiquement, nous menons de concert la pression pour la réforme du mécanisme de fixation des prix de l’électricité. Nos grandes entreprises énergétiques sont des champions nationaux et européens, à la fois concurrents et partenaires.

Sur le plan industriel, c’est ensemble que nous préparons la transition de la voiture électrique avec Stellantis, que nous concevons les armes sophistiquées de demain avec MBDA, que nous construisons notre indépendance en matière de semi-conducteurs avec STMicro. C’est ensemble que nous exportons notre style de vie dans le monde en matière de mode, de luxe, de design, de cuisine ou de tourisme, C’est ensemble que nous menons les projets européens en matière de santé, d’hydrogène, de nouvelles technologies. Vis-à-vis de la Commission et du Parlement, nous sommes les deux grands pays les plus et les mieux alignés du fait de nos intérêts communs. Sur toutes les révisions réglementaires en cours, qu’elles traitent d’énergie, d’automobile, de concurrence, de data ou d’assurance, le levier franco-italien, renforcé aussi largement que possible par d’autres, est le mieux à même de garantir un équilibre efficace de la régulation et des financements au sein de l’Union.

 

Le défi de la souveraineté

 

Le troisième défi est celui de l’appartenance et de l’affirmation de nos valeurs. Chacune de nos sociétés se sent fière de ses racines nationales tout en ayant majoritairement admis que notre destin dans le monde d’aujourd’hui passait par l’Europe. Toute souveraineté nationale est donc légitime tant qu’elle respecte la souveraineté européenne, quand celle-ci est en jeu. Ainsi la souveraineté nationale s’applique déjà en France et en Italie : par exemple quand la loi prévoit la protection d’entreprises stratégiques face à des prédateurs. Rome vient même d’innover en rebaptisant son ministère de l’économie par l’ajout du "made in Italy" : paradoxe d’une italianité qui s’écrit en Anglais. À Paris, le principal obstacle à l’introduction du "made in France" serait sans doute l’Académie française… Confindustria et Medef, les deux associations d’employeurs, sont en tout cas unies pour soutenir en Europe le principe d’appellation d’origine.

En revanche quand nos valeurs de fond, les libertés démocratiques par exemple, sont en jeu, la question de la souveraineté nationale ne se pose pas. Libre à ceux à qui cela ne convient pas de quitter l’Union. La question se pose peut-être à d’autres, pas à nous. D’où l’importance de continuer l’action à destination des jeunes Français et Italiens sur le modèle de l’Office franco-allemand de la jeunesse, de développer la coopération transfrontalière, de stimuler la culture dans tous les domaines artistiques au sein du "grand tour" européen.

 

Giorgia à Paris ?

 

Un an après sa signature, le traité du Quirinal vient d’entrer en vigueur. Entre-temps, le monde a profondément changé. D’autres accords bilatéraux ont été adoptés, dans la ligne du premier de tous, le traité franco - allemand de l’Élysée. Document Franco-Espagnol hier, Italo-Allemand demain, l’Union se construit en empilant des briques diplomatiques à géométrie variable autour du triangle fondateur Berlin-Paris-Rome avec des ponts lancés vers le Benelux, l’Espagne et la Pologne. Tous sont bienvenus dès lors qu’ils renforcent la cohérence de l’édifice Pour que l’Europe s’adapte à la nouvelle donne mondiale, il ne suffira certes pas de la France et l’Italie Mais sans leur action commune, forte et confiante, rien d’important ne se fera.

Georgia Meloni avait rencontré Emmanuel Macron à Rome le premier jour de sa nomination. Depuis elle est allée à Bruxelles, en Afrique, à Stockholm, capitale de la présidence suédoise et… à Berlin. Le moment est sans doute proche de l’accueillir à Paris pour donner un agenda ambitieux au traité du Quirinal en vue de construire l’Europe de demain. Une rencontre "inévitable", comme l’interprétaient en duo il y a quelques années Eros Ramazzotti - toujours lui- avec une chanteuse qui s’appelait… Giorgia.

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