Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Les mercenaires, toujours décriés, toujours utilisés
par Jean-Baptiste Noé
Le mot possède une connotation négative. Pourtant, les mercenaires sont vieux comme l’Antique et ne se battent pas uniquement pour l’argent. S’ils sont employés par des États dissolus, on les retrouve aussi dans les États forts.
Se battre pour un autre pays que le sien, défendre une idée ou un régime étranger à sa nation, curieux destin que celui des mercenaires. Jusqu’à l’époque moderne, le mercenariat offrait des débouchés professionnels aux populations venant des régions pauvres d’Europe. D’où les Suisses, louant leurs bras et leurs capacités militaires. Le mercenaire traîne une mauvaise image. Soit que l’on pense qu’il ne se bat que pour l’argent, et nullement pour l’honneur ou pour la défense de sa patrie, soit qu’on le perçoit comme un traître passé au service de l’étranger.
Le mercenaire dérange même s’il sert les intérêts de son pays, parce que trop voyant ou trop brutal. Quid de l’aventure de Bob Denard, l’un des plus célèbres mercenaires du XXe siècle, dont la légende a dépassé la réalité ? Le mercenaire apparaît comme la nécessité des États faibles et dissolus. Wagner sert de garde prétorienne au Mali et en Centrafrique, œuvrant tant que l’argent arrive. Des hommes finalement plus sûrs que des milices du pays, si promptes à se retourner contre le chef d’État et à le renverser. Pour beaucoup de pays faibles, le mercenaire est le garant d’une certaine stabilité.
Combattants ou sociétés ?
Pourtant, la privatisation de la guerre concerne aussi les États établis. Si la sécurité est perçue aujourd'hui comme l’exclusive du régalien, il n’en fut pas toujours le cas dans le passé. Et cette exclusive se distend désormais. Sur le territoire français, des entreprises de sécurité suppléent la police pour le gardiennage, avec des vigiles et des protections de site. Ce ne sont pas des sociétés militaires, mais bien des sociétés de sécurité, preuve que celle-ci peut être fournie par le secteur privé.
À l’étranger, ces sociétés protègent des sites industriels, garantissent les allées et venues des expatriés, fournissent un soutien logistique. Elles fournissent un service indispensable face aux États qui ne peuvent fournir le minimum de la sécurité. Le tout dans un contexte juridique contraint et strict afin d’éviter tout débordement de la guerre. L’État, quel qu’il soit, se méfie toujours d’une concurrence dans le domaine de la sécurité ; c’est un jeu dangereux pour l’intégrité du pays, mais aussi pour la légitimité du gouvernement. Pourtant, ils emploient massivement des sociétés militaires, y compris dans leurs opérations extérieures.
En Irak, les États-Unis ont employé plus d’hommes issus des SMP que de militaires issus de leur rang. Blackwater, l’entreprise la plus célèbre de l’époque, a certes connu des déboires qui ont terni l’image des SMP, mais cela n’a nullement freiné leur déploiement. La France s’y refuse, déployant une législation très contraignante : le mercenaire va à l’encontre de sa vision du peuple en arme et du service national de la guerre. Cela ne l’a pas empêché d’être une terre d’émigration guerrière, où de nombreux jeunes sont partis rejoindre les rangs de l’État islamique pour défendre une idée qu’ils estimaient meilleure que celle de leur pays d’origine. L’existence de ce mercenariat islamique témoigne de la dissolution du lien social qui fait que certains ne s’estiment plus tenus par leur pays de naissance.
Une utilité relative
Wagner fait parler d’elle. Parce qu’elle est russe, parce qu’on la présente comme le bras armé de Poutine en Afrique. Si sa communication est agressive et reprend les codes des mangas et des réseaux sociaux qui touchent les jeunes, son efficacité militaire est relative. Ce ne sont pas les 200 hommes de Wagner qui sont responsables de l’échec français en Afrique ni du ressentiment de nombreux Africains à l’égard de la France. Wagner est une façade Potemkine pour les uns, une excuse commode pour les autres. Pour une poignée de dollars, des hommes en mal d’avenir et attirés par l’aventure se vendent à des compagnies privées.
La réalité de la guerre, ses fracas et ses morts, douchent souvent les ambitions premières. Difficile de donner sa vie pour quelques dollars de plus. Le mercenaire est voué à vivoter et à s’enliser dans une utilité tactique faible. L’entreprise de sécurité privée en revanche, parce qu’elle apporte une technique et un savoir-faire que beaucoup d’États ne peuvent pas ou ne veulent pas assumer, dispose de puissants leviers de croissance. Quand la situation criminelle se dégrade, le marché de la sécurité croît.
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