Chroniques / Jean-Baptiste Noé
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Jean-Baptiste Noé
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Forum de Dakar : l’Afrique à la recherche de sa souveraineté
par Jean-Baptiste Noé
Le huitième Forum de Dakar (24 au 25 octobre), conduit sous l’égide du président Macky Sall, a cherché à proposer un chemin de paix et de sécurité pour l’Afrique. Développant le thème de la souveraineté, les nombreux invités et participants ont voulu affirmer la maturité de l’Afrique pour trouver les solutions à ses problèmes.
Initié par la France, le Forum de Dakar, dont la 8e édition vient de se dérouler, est désormais organisé par le Sénégal et chapeauté par son président Macky Sall, également président de l’Union africaine. Ce changement de pays organisateur témoigne de la volonté africaine d’être de plus en plus indépendante et même "souveraine" dans ses décisions politiques. Les pays lusophones étaient cette année à l’honneur, avec la présence des présidents de l’Angola et du Cap-Vert, qui rendit un hommage appuyé à Amilcar Cabral. Présence aussi du ministre des Affaires étrangères de l’Arabie saoudite et de la Turquie, ainsi que d’une délégation japonaise. La France n’était représentée que par son Secrétaire d’État à la Francophonie, qui fit un passage éclair et discret.
Ce changement d’organisation témoigne de l’effacement statutaire de la France, qui est certes en partie voulu par le Quai d’Orsay, mais qui va au-delà des objectifs français. Absence de représentants officiels et des organismes liés aux ministères comme pour mieux démontrer que le Forum, initialement voulu par Paris comme un observatoire sur le Sahel, était désormais un événement sénégalais chargé de penser l’Afrique avec des Africains.
Le Sénégal en tête de proue
En ouverture du Forum, le président Macky Sall a présenté des institutions mondiales en bout de course, et notamment l’ONU. Un système qui repose sur l’architecture de 1945, alors que la plupart des pays d’aujourd'hui n’étaient pas indépendants, et qui consacre la direction des pays vainqueurs de l’Allemagne nazie, dont la légitimité 80 ans plus tard n’est plus aussi évidente. Il a plaidé pour une intégration de l’Union africaine au conseil de sécurité de l’ONU ainsi qu’une plus grande présente de l’Afrique au G20. Si la question de la "souveraineté" agite l’Europe, le concept et le terme ont été également régulièrement évoqués à Dakar. L’Afrique constate en effet qu’elle subit les conséquences de chocs exogènes dont elle n’est nullement responsable.
La voici menacée de famine à cause du blocage des ports ukrainiens quand elle était auparavant coupée du monde par les confinements décidés au moment de l’épisode covid, une maladie qui a très peu touché le continent. Après l’indépendance politique obtenue dans les années 1960, l’Afrique cherche donc désormais à obtenir l’affirmation de sa "souveraineté", un concept beaucoup plus prononcé que celui du "développement". Souveraineté alimentaire, pour être moins dépendant des céréales européennes, souveraineté énergétique, pour alimenter son économie, souveraineté idéologique, pour ne pas être calée sur les débats occidentaux. À sa façon, ce Forum de Dakar a lui aussi marqué la fin de l’hégémonie occidentale.
Indépendance ukrainienne
La remarque du président Macron reprochant à l’Afrique de ne pas assez soutenir l’Europe et l’Ukraine, notamment à l’ONU, est ainsi très mal passée. Cela fut perçu comme une ingérence diplomatique cherchant à dicter aux pays africains la politique qu’ils doivent conduire. Un manque de souveraineté donc, alors qu’ils estiment être libres de leur politique étrangère. Macky Sall s’en est expliqué lors de son discours d’ouverture : "L'Afrique n'est pas contre l'Ukraine, il ne faut pas qu'on ait l'impression que les Africains sont insensibles à la situation de l'Ukraine. Ce n'est pas ça du tout […] Mais les Africains disent qu'au même moment où l'Ukraine est en guerre, est envahie, est agressée, l'Afrique est de manière permanente agressée par le terrorisme. […] Nous sommes en 2022, nous ne sommes plus pendant l'ère coloniale. Nous sommes en 2022, donc les pays, même s'ils sont pauvres, sont d'égale dignité. Il faut qu'on traite leurs problèmes avec le même respect."
Comme en écho à ces propos, l’ancien président du Niger, Mahamadou Issoufou, a lui aussi exprimé, lors d’une intervention en clôture du Forum, l’incompréhension des Africains face au soutien apporté à l’Ukraine, notamment financier et militaire, en comparaison de la faiblesse de l’aide apportée au Sahel. Il a demandé aux Occidentaux de s’investir plus massivement au Sahel, estimant qu’ils ont une grande part de responsabilité dans la déstabilisation de la zone, du fait de leur intervention en Libye en 2011.
Autant de propos de la part de dirigeants influents qui témoignent d’une prise de distance à l’égard de l’Europe, et principalement de la France. La souveraineté revendiquée par ces pays d’Afrique n’est pas qu’un concept, elle s’exprime dans leurs positions publiques et leurs politiques. Ce qui oblige la France à repenser l’architecture et les modalités de sa présence africaine.
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