Chronique
Italie : rien n’est gagné pour Giorgia Meloni
par Jean-Baptiste Noé

Sans surprise, Giorgia Meloni est arrivée en tête de sa coalition et en tête des partis italiens. Elle peut donc légitimement prétendre exercer la direction du gouvernement et réussir là où Matteo Salvini a échoué. C’est incontestablement une victoire pour elle et pour sa coalition, mais une victoire qui reste à finaliser. L’abstention fut forte (37 %) et en hausse de 9 points par rapport au précédent suffrage. L’Italie aussi est marquée par un désintéressement de la chose politique.

Si Fratelli d’Italia est arrivé en tête (26,4 %), le scrutin est marqué par la chute continue du Parti démocrate (19 %), l’ancien pilier des coalitions de gauche. C’est 800 000 voix de moins qu’en 2018. La Ligue de Salvini a été siphonnée par Meloni : 8,9 % contre 17,3 % en 2018. Les Italiens n’ont pas voté pour un parti, mais plus pour une personne et une dynamique. Le Mouvement 5 étoiles a quant à lui divisé son score par deux, descendant à 15 % des voix. Ceux qui ont gouverné avec Mario Draghi ont été sanctionnés.

L’exemple typique en est Luigi Di Maio, ministre des Affaires étrangères, ancien dirigeant du M5S qui a rompu avec lui pour fonder son propre parti. Non seulement son mouvement a fait un score très faible, mais lui-même n’a pas été réélu dans sa circonscription de Naples. La vie politique italienne joue à l’essuie-glace et si Meloni ne remplit pas ses objectifs et déçoit ses électeurs, elle risque elle aussi de passer à la trappe lors des prochaines législatives.

Un pouvoir limité

Le Premier ministre italien n’est pas le Président français ni même le Premier ministre britannique : ses pouvoirs sont beaucoup plus restreints. Les régions italiennes disposent d’importantes marges de manœuvre pour pratiquer leurs politiques, ce qui restreint d’autant l’action du gouvernement central. Un gouvernement qui doit concilier les différents courants de la coalition, cette combinazione qui fait la joie des commentateurs politiques, mais qui affaiblit la puissance de décision.

Même si Salvini a réalisé un score modeste, ses députés restent indispensables pour permettre à Meloni de diriger le pays. Cette dernière devra donc concilier avec eux. À quoi s’ajoute la situation particulière de l’Italie : très fortement endetté, le pays est tenu par cette réalité financière qui empêche les gouvernements de s’en affranchir. Le "mur de l’argent" pèse lui aussi sur les possibilités politiques de Meloni.

Une Italie fracturée

L’étude de la carte des votes révèle une Italie fracturée en plusieurs blocs. Au centre, autour de Bologne et de Florence, les terres de gauche du Parti démocrate. Un ancrage historique et sociologique, qui a longtemps valu à Bologne le surnom de ville rouge. Mais même ce cœur géographique du PD s’est fortement réduit, à la mesure de la réduction de ce parti. Reste une partie nord, qui descend jusqu’au sud du Latium, et une partie sud, qui comprend la Sardaigne et la Sicile. Le nord a majoritairement voté pour Fratelli d’Italia et le sud pour le M5S, même si la Sardaigne et la Sicile ont basculé en plusieurs lieux du M5S à Fratelli.

Certes en bien des communes le M5S ne devance que de peu Fratelli d’Italia, il n’en reste pas moins vrai que la carte électorale de l’Italie en 2022 ressemble beaucoup à la carte de l’Italie avant l’unification. Le sud d’aujourd'hui n’est plus celui des années 1880. Nombreuses sont les industries à y être implantées et l’activité économique y est souvent soutenue. Il n’en demeure pas moins que persiste l’idée d’un mezzogiorno, d’un sud déclassé et rejeté qui serait mal intégré à l’Italie. Une idée qui se traduit aujourd'hui encore dans les choix politiques et qui montre que la tâche de Meloni pour réformer et relancer son pays est très loin d’être gagnée.