Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Gorbymania
par Jean-Baptiste Noé
La mort de Mikhaïl Gorbatchev nous replonge dans ces étranges années 1980 qui virent la fin de la guerre froide et le démantèlement du bloc soviétique. C’est bien malgré lui que le dirigeant soviétique a conduit à la disparition de l’URSS, disparition qu’il a toujours regrettée.
Lorsqu’il prend la tête de l’URSS en 1985, à l’âge de 56 ans, Gorbatchev tranche avec la gérontocratie qui se succède au Kremlin depuis la mort de Brejnev en 1982. Si c’est à une voix près qu’il fut nommé, il suscita immédiatement un grand enthousiasme à l’Ouest et une grande défiance à l’Est. Cet écart de perception n’a cessé de se creuser entre un monde occidental qui le voit comme un grand réformateur qui a permis la fin de l’URSS et un monde soviétique qui le perçoit comme le fossoyeur du communisme. Lui-même, tout en bénéficiant et en cultivant la "Gorbymania" qui se fit jour en Europe et aux États-Unis, ne voulut jamais la fin de l’URSS et ne cessa de la regretter en reprochant à Boris Eltsine de l’avoir trahi.
Perestroïka forcée
C’est bien contraint et forcé que Gorbatchev lança la "reconstruction", à savoir la perestroïka, dont le terme fut très populaire en Occident. Chargé des questions agricoles avant sa nomination à la tête de l’URSS, il constata le très net décrochage de la production alimentaire et industrielle soviétique. Pour nourrir sa population, la Russie devait acheter des céréales à l’ennemi américain. En 1978, Deng Xiaoping ouvrit la Chine au marché mondial, rompant avec le maoïsme, désireux de faire de son pays l’atelier du monde afin de le sortir de la pauvreté. Face à l’ennemi idéologique que demeurait la Chine, la Russie soviétique ne pouvait rester immobile au risque de se faire doubler et de perdre le contrôle du communisme mondial. L’Armée rouge s’enlisait en Afghanistan et Moscou pansait encore les plaies de ses déconvenues en Afrique après ses tentatives avortées des années 1970 pour y établir des têtes de pont marxiste.
Même dans le bloc de l’Est, derrière le glacis soviétique bouillonnaient les revendications nationales que le mouvement Solidarnosc en Pologne catalysait grâce à la fierté de son cardinal devenu pape. Pris dans les feux de Reagan, Deng Xiaoping et Jean-Paul II, Gorbatchev se devait de reconstruire l’URSS. C’est peu dire que l’appareil administratif soviétique ne suivit pas ses désirs. Au Kremlin, comme dans les échelons des gouvernements locaux, tout freina ses tentatives de réformes. Gorbatchev usa alors du savoir-faire traditionnel soviétique pour imposer ses volontés : la disqualification et la purge.
La grande méprise
Là réside la grande méprise entre son image en Occident et son souvenir en Russie. La mise en place de la glasnost, la transparence, ne visa pas à rompre avec la dictature soviétique, mais à purger le parti des éléments récalcitrants. En publiant les débats, en mettant sur la place publique les oppositions, Gorbatchev chercha à se construire une stature de réformateur contre des conservateurs qui seraient par nature opposés à toutes ses réformes. Pourtant, la situation de l’URSS ne s’améliorait pas, le pays s’enfonçant dans la crise économique et la misère. Les années Gorbatchev précèdent les années Eltsine en termes de déréliction sociale avec la hausse croissante de l’alcoolisme, la baisse de la mortalité chez les hommes, la montée en puissance des mafias. C’est aussi pour éviter cette dissolution de la société que la vieille garde du Parti s’opposa à Gorbatchev.
Lorsque l’Europe de l’Est commença à se détacher de Moscou, celui-ci refusa de suivre la "doctrine Brejnev" et de répliquer par la force. Comprenant que les chars du pacte de Varsovie ne rentreraient ni à Berlin ni à Gdansk, les libertés nationales l’emportèrent sur le bloc soviétique. S’il déclara en 1990, à Malte, avec Georges Bush, la fin de la guerre froide, il ne put arrêter le mouvement de dissolution de l’URSS. C’est malgré lui que celle-ci disparut en 1991. Ses tentatives pour jouer un rôle politique ultérieur furent parsemées d’échecs. En 1996, il fit à peine 1 % aux élections présidentielles. Sur la scène russe, il ne pesait plus rien. Sur la scène occidentale, il put cultiver la "Gorbymania", en posant notamment dans des publicités Pizza Hut et Louis Vuitton. Sa mort a suscité davantage d’émoi en Occident qu’en Russie, preuve de la grande méprise dans laquelle il a vécu.
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