WAN
menu
 
!
L'info stratégique
en temps réel
menu
recherche
recherche

Chroniques / Bernard Spitz

Chroniques
Bernard Spitz

Chronique
L’Italie ? Ce la farà !
par Bernard Spitz

Le 25 septembre prochain, les Italiens vont voter. Un scrutin sous haute tension pour la péninsule et au-delà. Pour la France, l’Allemagne et plus généralement l’Europe, à un moment critique entre crise ukrainienne et choc sur l’énergie, les conséquences des choix de la troisième puissance de l’Union vont peser lourd, politiquement et économiquement.

30/08/2022 - 10:00 Lecture 15 mn.

Les revanchards

 

Les élections générales italiennes étaient prévues initialement au printemps prochain, ce qui laissait à Mario Draghi un bon semestre de plus pour gérer le pays, veiller aux réformes et mettre en place, grâce au plan de soutien européen, la manne la plus importante jamais accordée à un État au sein de l’Union. Or tout a été remis en cause, on l’a vu, par le jeu revanchard de trois grands brûlés de la scène politique.

D’abord, Giuseppe Conte, l’ancien premier ministre, passé du rôle de tiers de confiance raisonnable d’une majorité Ligue - 5 étoiles à celui de chef du parti des insoumis. Ayant pris la tête de la fraction la plus gauchiste du parti de Beppe Grillo, il a harcelé Draghi sur sa politique ukrainienne avant de lui refuser le vote de confiance. Son but : reprendre une cure d’opposition en misant sur l’échec du parti démocrate.

Ensuite, Matteo Salvini, patron de la Ligue, qui après avoir dominé la droite italienne pendant plusieurs années, s’est fait évincer du gouvernement avant de se rallier à Draghi et de se normaliser au point de voir sa cote de popularité s’affaisser. Il était urgent pour lui de mettre fin à ce processus pour sauver sa tête de leader du parti, ce qui n’est pas garanti pour autant.

Silvio Berlusconi, enfin, qui tente de protéger son groupe et sa personne de ses problèmes judiciaires. Il rêve tellement de se faire élire à la Présidence de la République que sa principale intervention pendant la campagne a consisté à demander la future démission du Président actuel. Un jeu tellement personnel que les ministres issus de son propre parti, Forza Italia, ont unanimement refusé de le suivre.

 

Meloni-Letta : le combat des chefs

 

La morale de cette histoire est qu’aucun de ces trois "nouveaux monstres" n’est en mesure d’entrer fin septembre au palais Chigi, le Matignon italien où est installé le Président du Conseil. La clé du leadership reste entre les mains des deux principaux leaders dans les sondages : au centre gauche Enrico Letta, chef du parti démocrate, ancien Président du Conseil (tout comme Berlusconi et Conte), soutien fidèle de Mario Draghi ; à droite, Giorgia Meloni, ancienne vice-présidente de la Chambre des députés à seulement 29 ans et ministre de la jeunesse du gouvernement Berlusconi, aujourd’hui patronne incontestée de Fratelli d’Italia créé il y a tout juste dix ans : le seul parti de droite qui n’appartenait pas à la coalition gouvernementale et par conséquent le seul à ne pas l’avoir trahie.

Le Parti Démocrate et Fratelli d’Italia sont largement en tête des intentions de vote. Néanmoins, le système électoral italien a ceci de particulier qu’il combine le scrutin majoritaire pour un tiers des sièges et la proportionnelle pour les deux tiers restants. Cette prime à la proportionnelle conduit automatiquement à la constitution de coalitions, en particulier pour les petits partis afin de leur permettre de franchir grâce à leurs alliances le seuil minimal nécessaire pour obtenir des sièges.

Si la victoire de la droite paraît la plus probable, c’est parce qu’elle a surmonté ses divisions pour constituer une grande coalition. Avec près de 25 % des intentions de vote pour Fratelli d’italia, autour de 15 % pour la Ligue - puissante au nord de l’Italie - et moins de 10 % à Forza Italia, la droite peut espérer remporter la majorité. Dans ce cas c’est Giorgia Meloni à qui le Président Mattarella devrait confier le soin de composer son gouvernement.

Les jeux ne sont pas entièrement faits pour autant. Enrico Letta a essayé de constituer une coalition au centre gauche capable de rivaliser avec la droite. Il a obtenu pour cela le soutien de quelques petits partis, ce qui ne lui promet au mieux qu’un tiers des sièges. Il lui aurait fallu composer avec le Cinq-étoiles de Conte. Mais par souci de cohérence politique, il a choisi de rester allié de Di Maio, le chef de la minorité des Cinq étoiles qui a fait sécession. Le salut aurait pu venir du centre où l’on retrouve, chacun à la tête d’un petit parti, Carlo Calenda avec Azione et Matteo Renzi avec Italia Viva. Letta a proposé à Calenda un accord mais l’ancien ministre de l’Économie du gouvernement Renzi, un moment tenté, a finalement renoncé pour s’allier avec Renzi dans une coalition centriste qui cherche à être la trouble-fête du scrutin.

Désormais les coalitions sont constituées et d’ici à l’élection, elles ne pourront plus changer.

 

La bataille pour le centre

 

La vraie bataille politique du 25 septembre ne se joue pas tant à droite où les choses sont claires mais au centre, surtout dans la perspective de la sortie de scène de Berlusconi. Un centre qu’ambitionnent d’incarner et de rassembler tant Letta - ancien démocrate-chrétien - que Calenda, Renzi et Di Maio, sans oublier quelques autres personnalités dont l’influent maire de Milan, Giuseppe Salà. Si Renzi a accepté d’abandonner la tête de sa coalition centriste à Calenda, c’est parce qu’il joue à moyen-long terme. Aujourd’hui, son image est trop dégradée pour qu’il puisse revendiquer le pouvoir. Faiseur de roi - c’est lui qui a permis l’arrivée de Draghi - sans avoir encore la capacité de redevenir roi lui-même, tel est provisoirement le destin du plus charismatique des hommes politiques italiens.

Le 25 septembre, la droite remportera sans doute les élections. Toute la question est de savoir si elle atteindra seule la majorité à l’Assemblée et au Sénat, comme le lui promettent les sondages. Dans le cas contraire, aura-t-elle la capacité de nouer un compromis avec le centre ou de débaucher le nombre d’élus nécessaires sur d’autres bancs ? À l’inverse, en cas de large victoire, pourra-t-elle atteindre la majorité des deux tiers, auquel cas elle pourrait engager des réformes constitutionnelles sans passer par la voie du référendum. Enfin, quelles seront la perspective et la durée de vie de ce gouvernement dans un pays où l’instabilité gouvernementale est la règle : période de transition ou changement durable et structurel ?

Le rôle du Président de la République Mattarella sera clé dans cette configuration, puisqu’il lui reviendra d’apprécier qui peut conduire la majorité. Il pourra aussi s’opposer, comme il l’a fait dans le passé, à certaines nominations.

Quelles conséquences peut-on en attendre sur la politique italienne ? Le trio Salvini, Berlusconi Meloni n’a pas été très clair dans la communication de son programme, au-delà d’un affichage souverainiste. Il s’est retrouvé sur ses fondamentaux sociaux et sociétaux notamment pour l’ordre et contre l’immigration. Consensus aussi en faveur de la baisse des impôts, du rejet de la bureaucratie européenne - mais pas de ses financements - et de l’opposition aux réformes de modernisation de l’économie engagées par Draghi. Silence radio en revanche sur les désaccords profonds de politique étrangère entre la vision pro-russe de Salvini et surtout de Berlusconi, et la politique atlantiste et de soutien à l’Ukraine de Meloni.

Silence aussi sur les divisions au Parlement européen entre les partis de la coalition, affiliés à des groupes et des forces politiques bien différentes. Forza Italia est au "Parti populaire européen" avec nos LR, alors que la Ligue siège au groupe "Identité et Démocratie" avec le Rassemblement national et l’AFD allemande. Quant à Fratelli d’Italia, il appartient au groupe des "conservateurs et réformistes européens", avec le PIS polonais ainsi - jusqu’au Brexit - qu’avec le parti conservateur britannique et c’est Giorgia Meloni elle-même qui le préside.

 

Les enjeux pour l’Europe et pour la France

 

Pour la France et l’Allemagne les enjeux sont importants tant pour les gouvernements que pour les entreprises.

Vu du côté allemand, la perspective en Italie de la baisse des impôts, la hausse des dépenses publiques et le frein aux réformes constituent le pire cocktail possible. Or l’Italie aura besoin demain du soutien de la banque centrale européenne, donc aussi de l’Allemagne, ce qui limite les marges de manœuvre du futur gouvernement, quoi qu’il en dise, sauf à déclencher une crise majeure au sein de la zone euro. Il lui faudra savoir jusqu’où ne pas aller trop loin avec Bruxelles, dans un style qui pourrait rappeler celui de Margaret Thatcher autrefois. Comment la politique énergétique évoluera-t-elle entre la tentation russe d’une partie de la coalition et l’aspiration souveraine de l’autre, surtout quand viendra l’hiver avec ses perspectives glaçantes pour l’appareil productif italien ? Qu’en sera-t-il pour les affaires étrangères avec la question ukrainienne bien sûr, mais aussi tous les enjeux en direction de l’Afrique et de la Méditerranée ? Même question pour la politique de défense…

Vis-à-vis de la France, beaucoup d’hostilité persiste dans certains milieux de droite, au nom de la souveraineté qui serait bafouée du fait des nombreux rachats de sociétés italiennes par les Français. Une approche simpliste : s’il a pu y avoir maladresses et malentendus dans le passé, les choses se sont normalisées depuis, comme en témoignent le récent contrôle par les Italiens d’Essilor, le sauvetage de Fiat par Peugeot ou le rayonnement mondial du luxe italien grâce aux groupes français. On se souvient du dialogue entre Conte et Merkel à Davos en 2019 où le premier avait expliqué cyniquement que désigner un ennemi était le meilleur moyen de gagner des élections et que Salvini avait choisi pour cela la France et Macron : une parfaite illustration de la stratégie des "ingénieurs du chaos" décrite par Giuliano da Empoli.

Le traité du Quirinal de 2021, destiné précisément à relancer notre complémentarité, a lui-même été critiqué à droite comme un abandon de souveraineté, alors qu’il s’agit d’un accord équilibré et symétrique entre nos deux pays pour mieux nous renforcer ensemble en Europe et nous développer internationalement. C’est l’intérêt de tout gouvernement italien de rechercher la meilleure entente possible avec la France et de ne pas heurter l’Allemagne. En déclarant que si elle était nommée Présidente du Conseil, elle rendrait immédiatement visite au chancelier Scholz et au président Macron, Giorgia Meloni a laissé entendre qu’elle pourrait être nationaliste sans être antieuropéenne.

 

Le testament de Draghi…

 

La composition du futur gouvernement sera révélatrice d’emblée de ses intentions. Y aura-t-il une collaboration positive dans sa formation avec le Président de la République ? Le ministère des finances reviendra-t-il à un Giulio Tremonti ou à une personnalité plus européo-compatible, comme le numéro deux de la Ligue, Giancarlo Giorgetti ? Même question sur des postes clés comme la défense, l’économie, l’industrie, l’énergie et bien sûr la politique étrangère… Il est évidemment trop tôt pour le savoir.

On attendait dans ce contexte la prise de parole de Mario Draghi, sa lecture de la situation et de son héritage. Ce fut l’occasion le 24 août à Rimini dans une manifestation pluri-partisane où il a distribué les messages en veillant à ne pas se poser en maître d’école. À la gauche, il a recommandé de ne pas chercher à diaboliser la coalition de droite puisqu’il lui faudra accepter de toute façon le choix démocratique des électeurs, une façon de dire qu’il ne croit pas au risque fasciste pour la démocratie italienne. À la droite, il a souligné la nécessité des réformes et du respect du plan économique de relance, le danger du souverainisme et la nécessaire solidarité avec l’Ukraine. Il a pris ses distances avec ceux qui revendiquent "l’agenda Draghi", c’est-à-dire le duo Renzi-Calenda, en expliquant que le seul agenda qui compte sera celui que le peuple décidera.

Sa conclusion pour l’Italie ? "Ce la farà" , c’est-à-dire qu’elle s’en sortira ; comme toujours…

Chroniques du même auteur
Chroniques
du même auteur

Chronique / Bernard Spitz

Chronique / Conte, Salvini, Berlusconi : les nouveaux monstres !

22/07/2022 - 11:00

//

Chronique / Bernard Spitz

Chronique / French Connection

30/06/2022 - 11:00

//
Les chroniques de la semaine
Les chroniques
de la semaine

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Ukraine : l’impasse

27/08/2022 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Chili : nouvelle constitution, vieilles idées politiques

23/07/2022 - 08:28

Chronique / Bernard Spitz

Chronique / Conte, Salvini, Berlusconi : les nouveaux monstres !

22/07/2022 - 11:00

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / La France dans le trio de tête du marché étudiant

16/07/2022 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / L’artillerie ne meurt jamais

09/07/2022 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / L’OTAN ressuscitée

02/07/2022 - 08:30

Chronique / Bernard Spitz

Chronique / French Connection

30/06/2022 - 11:00