Chroniques / Bernard Spitz
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Bernard Spitz
Chronique
Conte, Salvini, Berlusconi : les nouveaux monstres !
par Bernard Spitz
“La situation n’est pas bonne”, chantait Adriano Celentano. Effectivement, l’Europe attendait avec appréhension l’issue de la crise politique italienne. Elle espérait qu’après bien des tumultes, Mario Draghi serait confirmé comme président du conseil. Et pourtant c’est le contraire qui s’est produit.
Comment en est-on arrivé là ?
Ce n’est pas du fait de l’usure du pouvoir car tous les sondages montrent que la popularité de Mario Draghi était intacte, tout comme celle du Président de la République Mattarella. Ce n’est pas non plus la situation économique qui pêchait : sous l’action du gouvernement Draghi. L’Italie a atteint des résultats encourageants et la présence du grand argentier était pour le monde des entreprises la garantie de bénéficier de la manne bruxelloise et du soutien des autorités monétaires. Ce n’est pas non plus la gestion de la pandémie qui a finalement été jugée de manière positive. Enfin, les Italiens étaient fiers de voir leur leader respecté par tous les dirigeants mondiaux.
La revanche populiste
Que s’est-il donc passé, alors que les élections étaient de toutes façons prévues en mars prochain ? C’est bien à une revanche politique de l’opposition populiste que l’on a assistée, facilitée par une colère sociale diffuse mais réelle, du fait de l’inflation et des contraintes qui s’annoncent sur le plan énergétique et le pouvoir d’achat.
Mario Draghi est arrivé au pouvoir il y a 18 mois aux dépens de Giuseppe Conte, un avocat quasi inconnu choisi par le mouvement Cinq étoiles, vainqueur des élections législatives comme figure de compromis après que le président Mattarella ait écarté tous les antieuropéens. Giuseppe Conte était entré après plusieurs mois en conflit avec le leader de la ligue Salvini et Matteo Renzi le plus affûté - et aussi le moins populaire - de tous les hommes politiques italiens en avait profité pour pousser Mario Draghi à la présidence du Conseil.
Le Complot de Conte
Giuseppe Conte a préparé sa revanche. Il a pris le contrôle du parti Cinq étoiles en s’alignant sur la frange la plus radicale du mouvement. Il l’a fait en opposition à son rival Luigi Di Maio, celui-là même qui avait fait scandale en allant saluer nos gilets jaunes. Ce dernier a mûri pour devenir un ministre des Affaires étrangères modéré et respecté. En conflit avec Conte qui critiquait la politique de soutien à l’Ukraine du gouvernement, il a provoqué la scission des Cinq étoiles en deux blocs : les modérés, proches du parti démocrate et les radicaux antimilitaristes et anarchistes.
Le plan de Conte était simple : Draghi avait toujours prévenu qu’il ne chercherait pas à jouer les chiens de berger politiques et que si l’ensemble des partis de la coalition ne le soutenait pas, il s’en irait. Conte a choisi de s’associer à Salvini pour déstabiliser le gouvernement. Salvini, lui-même en perte de vitesse face à sa rivale Giorgia Meloni, a accéléré les événements, soutenu par ses ministres, y compris le subtil Giancarlo Giorgetti. Silvio Berlusconi, qui ne pèse plus grand-chose s’est joint au complot, pour montrer qu’il existait et qu’il irait encore aux élections à la tête de son mouvement Forza Italia aux côtés de la coalition de droite et non de celle du centre. Silvio Berlusconi qui, après avoir renoncé à son rêve de présidence du pays, veut protéger son empire audiovisuel en faisant le pari de la victoire de la droite. Du coup, nombre des ministres de son parti se sont désolidarisés de cette attitude et ont soutenu Mario Draghi, pour l’honneur.
L’affaire était pliée : l’alliance des populistes de gauche et de droite soutenue par les supplétifs berlusconiens voulait de nouvelles élections le plus vite possible. C’est chose faite après la décision prévisible du Président de les organiser dès la rentrée.
Et maintenant ?
Dès lors que va-t-il se passer ? Que peut-il se passer ? Ce qui est certain, c’est que les élections se feront sur le mode électoral actuel, alors qu’il était question depuis des mois de le changer. Dans cette configuration, ce sont les coalitions qui sont avantagées.
La droite, en comptant la Ligue, une partie de l’électorat de Berlusconi et surtout Fratelli d’Italia dépasse sensiblement les 40 %. De combien ? Là est la question : il ne lui faut pas nécessairement 50 % des voix pour disposer de la majorité des sièges mais il en faut près de 45 % pour espérer gagner les élections.
Face à elle, le Parti démocrate revigoré par Enrico Letta peut s’associer avec les forces du centre, éparpillées entre des petits partis constitués autour des hommes et femmes clés de la politique italienne tels Carlo Calenda, Emma Bonino ou Matteo Renzi, … Avec ces forces centrales auxquelles s’ajoutent les anciens du mouvement Cinq étoiles suivant Di Maio et les électeurs de Forza Italia qui refusent de s’allier avec la droite dure, le Parti démocrate peut espérer réunir lui aussi autour de 40 % des suffrages. Le reste ira aux Cinq étoiles et quelques autres à l’extrême gauche dans un paysage qui reste donc potentiellement fragmenté.
Qu’en pensent les Italiens ?
Mais la grande inconnue c’est ce que va penser le peuple italien de ce qui vient d’arriver. En fera-t-il porter la responsabilité aux auteurs de ce chaos, à savoir le trio des nouveaux monstres Berlusconi, Conte et Salvini ? Voudra-t-il les punir en soutenant la coalition de centre gauche auquel cas le leadership reviendra à Enrico Letta. Ou le ressentiment social épousera-t-il la rébellion populiste : auquel cas la présidence du Conseil reviendra sans doute à Giorgia Meloni, la seule à ne pas être rentrée dans le gouvernement Draghi et par conséquent la seule à ne pas l’avoir trahi.
Il y a bien une troisième hypothèse, la polarisation politique restant la règle, aucune majorité ne se dégageant, la situation économique devenant menaçante, le chef de l’État appellerait un profil indépendant. Cette fois, fort de l’expérience, il ne chercherait pas à rassembler tous les partis mais seulement ceux capables d’assurer la poursuite des réformes dont l’Italie et l’Europe ont besoin. Quelqu’un qui pourrait s’appeler… Mario Draghi ? Alors Adriano Celentano pourra plutôt chanter Azzurro…
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