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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

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Jean-Baptiste Noé

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Ukraine : la Russie perd l’Asie
par Jean-Baptiste Noé

Loin d’opérer un basculement vers l’Asie, l’invasion de l’Ukraine montre que la Russie demeure obnubilée par sa présence en Europe. En s’affranchissant du droit international et en engageant l’épreuve du feu, la Russie a certes réussi à récupérer le Donbass, mais elle est en train de perdre ses positions en Asie.

18/06/2022 - 08:45 Lecture 6 mn.

 

En se plaçant du côté russe et en regardant la guerre en Ukraine avec leurs yeux, cette attaque représentait une nécessité pour maintenir leur position en Ukraine, contrôler le Donbass, assurer un continuum territorial entre la Crimée et la Russie via la région de Marioupol. Trois mois de guerre pour quelques avancées territoriales, beaucoup de pertes humaines et financières, une décrédibilisation pour les Occidentaux. La Russie a toujours oscillé entre Europe et Asie, entre volonté de peser en Occident, ce que fit notamment Pierre le Grand, et rêve impérial asiatique, par le contrôle de l’Eurasie et de la Sibérie.

La guerre en Ukraine témoigne d’un retour de la prééminence de l’Europe sur l’Asie. C’est pour un morceau d’Europe que Moscou a jugé essentiel de déclencher une guerre, de perdre des hommes, de sortir l’épée. Il y a certes des rapprochements diplomatiques avec la Chine, mais somme toute très modestes. La brutalité de l’invasion est en train de faire perdre à la Russie son influence en Asie.

 

La fin de l’étranger proche

 

Depuis la fin de l’URSS (1991) les anciens territoires soviétiques étaient désignés comme "l’étranger proche de la Russie". Des territoires indépendants certes, mais où Moscou pouvait s’appuyer sur des minorités russes atteignant parfois les 20 % de la population et des dirigeants fidèles au Kremlin. Des territoires encore désignés, trente ans après, comme d’anciens espaces soviétiques, ce qui contribuait à leur nier une certaine forme de légitimité et d’indépendance. Une zone d’influence naturelle où Moscou, même après l’indépendance des pays, était chez elle. On le vit notamment lors de la guerre au Karabagh à l’automne 2020 : c’est la Russie qui joua les bons offices entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui imposa un cessez-le-feu et qui "chapeauta" les négociations. Avec l’invasion de l’Ukraine, tout cela est en train de changer.

Dans le Caucase tout d’abord, Bakou et Erevan ont pris acte de la fragilité de la Russie et du risque de désengagement de celle-ci. Les deux pays ont donc négocié une sortie de crise au Karabagh, l’Arménie reconnaissant la perte des territoires conquis. Tous les deux craignaient une levée des troupes russes qui assuraient le service de paix et qui auraient pu être envoyées en Ukraine, leur absence risquant de faire repartir la guerre, ce qu’aucun pays ne voulait. Ils se sont donc débrouillés seuls, sans la Russie.

En Asie centrale ensuite. Le Kazakhstan a certes été aidé par Moscou pour assurer le service d’ordre lors des émeutes de janvier dernier, mais c’était avec la ferme volonté du provisoire. Les populations russes ont fait allégeance au nouveau chef d’État et montrent un grand attachement à leur pays, loin de vouloir une réintégration à la Russie. La logique démographique joue aussi cet effet. L’époque soviétique date d’il y a trente ans déjà, soit une génération. Nombreuse est donc la population qui n’a pas connu cette époque ou bien qui en garde un très vague souvenir d’enfance. L’époque soviétique appartient au passé, ce qui affaiblit d’autant plus la notion d’étranger proche.

 

Manque d’investissements asiatiques

 

La guerre en Ukraine coûte cher à la Russie. Outre les aspects financiers, c’est sur le plan démographique que le conflit va s’avérer douloureux. Déjà 20 000 soldats morts, à quoi il faut ajouter des milliers de blessés physiques et psychologiques. 20 000 jeunes Russes qui vont manquer à un pays vieillissant et en déclin démographique. Si Vladimir Poutine rêve d’Empire, il y avait mieux à faire pour employer les ressources humaines de son pays. Par exemple investir à Vladivostok, dont la situation géographique, aux confins du Japon et de la Chine, a tout pour en faire un grand port asiatique et pacifique, ce qui est loin d’être le cas. La Russie pourrait aussi aménager et développer la Sibérie, sous-peuplée et sous-développée, qui fait aujourd'hui l’objet d’une main mise chinoise, avec des installations de population Han qui sont en train de transformer cet espace en zone d’influence de Pékin.

Enfin il y a l’Asie centrale. Au Kazakhstan, les investissements des pays européens sont passés devant ceux de la Russie. Moscou a certes signé un partenariat stratégique avec le Turkménistan le 11 juin dernier, mais cela n’empêche pas un recul de son influence en Eurasie, alors qu’avec les dossiers afghans et iraniens il y aurait beaucoup à faire. Son agression de l’Ukraine a créé une grande méfiance chez ses partenaires et une rupture de confiance qu’il sera long à ressouder. Pour gagner quelques arpents de terre en Ukraine, pour affirmer sa puissance militaire au cœur de l’Europe, la Russie est peut-être en train de perdre ses positions en Asie, ce qui est très loin d’être un bon coup stratégique pour elle.

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