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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

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Jean-Baptiste Noé

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L’artillerie ne meurt jamais
par Jean-Baptiste Noé

En Ukraine, les fondamentaux de la guerre sont revenus : l’impondérable de la géographie et du relief, l’importance du ravitaillement, le rôle crucial de la communication et de la propagande et, moins attendu, le rôle du canon. Beaucoup disaient l’artillerie dépassée, la voilà revenue sur le devant de la scène. 

09/07/2022 - 08:30 Lecture 6 mn.

 

Avant la guerre en Ukraine, les états-majors et les stratèges pariaient sur la guerre cyber, la guerre hybride ou encore la guerre de haute technologie. Une fois l’engagement effectué, on en revient pourtant aux fondamentaux : la cavalerie (les chars), les canons (l’artillerie), ajoutés à la maîtrise de l’espace aérien et maritime. Dans cette guerre de mouvement et de position, l’artillerie se révèle essentielle. C’est l’une des grandes surprises tactiques de ces cinq premiers mois : le retour du canon et de son usage, symbolisé par le don à l’Ukraine des canons français CAESAr.

 

Caesar artilleur

 

C’est l’une des prouesses technologiques de l’industrie française. Développé à la fin des années 1990 par GIAT industrie, produit et mis en service par Nexter depuis la fin des années 2000, le camion équipé d’un système d’artillerie (CAESAr) propose de nombreuses innovations techniques. Canon automoteur à forte mobilité, il est monté sur un châssis 8x8 qui facilite son déplacement. Quant à son coût de maintenance, il est trois fois inférieur à celui d’un automoteur blindé à chenilles.

Plus précis, robuste, maniable, il s’est illustré comme l’un des rois du canon, ce qui explique sa bonne exportation en dépit d’un coût de fabrication non négligeable (5 millions d’euros). En mai 2022, Nexter avait enregistré 418 commandes de Caesar, dont 109 pour l’armée française et le reste réparti dans sept autres pays. La France dispose de 58 canons Caesar livrés, dont 18 ont été cédés à l’Ukraine, pris sur les dotations de l’armée de terre, ce qui a nécessité de former les artilleurs ukrainiens à son maniement.

 

Artillerie et munitions

 

L’artillerie suppose du matériel, des hommes et des munitions. C’est ce dernier point qui fragilise la situation de l’armée ukrainienne. Si l’armée russe dispose de nombreux stocks, pour partie issus de l’époque soviétique, pour partie accumulés en prévision de la guerre, l’Ukraine est à court d’obus. En une semaine de combat, elle tire l’équivalent d’une année de dotation de l’armée de terre française. Ses usines ne peuvent pas produire toutes les munitions dont elle a besoin, d’où le recours à des alliés européens qui sont eux aussi limités. Une véritable économie de guerre suppose de transformer des usines civiles en usines d’armement afin d’alimenter le front.

Nous n’en sommes pas encore là et les capacités de production sont de plus en plus limitées. Un autre facteur va heurter la capacité productive : les vacances d’été. Les ouvriers des usines d’armement prenant leurs congés estivaux, la production va diminuer en juillet-août, au moment où l’Ukraine est en train de reculer sur le front du Donbass et a donc besoin de munitions supplémentaires. L’artillerie, si essentielle dans cette guerre, risque de se retrouver à sec.

 

Hermès ou Zara ?

 

En matière d’artillerie, la France a fait le choix du modèle Hermès : peu de pièces, mais de grande qualité, précise, de haute technologie, à prix élevé. En temps de guerre intense comme en Ukraine, c’est plutôt le modèle Zara qui est à privilégier : une qualité moindre, des pièces moins précises et moins technologiques, mais beaucoup moins chères. En somme, la quantité plutôt que la qualité. L’artillerie russe n’est pas de dernière fraîcheur, mais elle a le nombre et donc l’efficacité. Le choc du feu retrouve ici toute sa dimension.

Une artillerie efficace peut jouer sur la portée (des tirs longs), mais aussi sur la précision (des tirs ciblés). Les obus modernes disposent de système de guidage par drone et par GPS qui permettent de toucher les cibles de façon précise et sûre. Là aussi, cela a un coût. Les Russes ont opté pour des tirs certes moins précis, mais plus nombreux. Au regard de leur avancée et du terrain conquis depuis février, leur tactique s’est révélée payante.

Les centres de doctrine et de stratégie français commencent d’ores et déjà à étudier la guerre en Ukraine et à en tirer des leçons pour l’adaptation des forces françaises. L’une des grandes leçons de cette guerre est le retour de l’artillerie. Une artillerie qui a été fortement réduite en France par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, qui a préconisé sa réduction. À l’époque, beaucoup pensaient l’artillerie moins utile, voire dépassée. La réalité de la guerre en a décidé autrement : l’artillerie ne meurt pas et continue à être essentielle dans les combats. Pour la stratégie française, cela nécessite de revoir canons et munitions à la hausse.

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