Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
À Vladivostok, Poutine refait le monde
par Jean-Baptiste Noé
Présent à la septième édition du Forum économique de l’Est qui se tient à Vladivostok, Vladimir Poutine a esquissé une refondation du monde désormais tourné sur l’axe asiatique. Entre le renforcement du partenariat avec la Chine et la dé-dollarisation des flux financiers, c’est un nouveau monde que le président russe essaye de construire.
Balayant d’un revers de main les sanctions mises en place par l’Occident, confiant dans la solidité de l’économie russe, Vladimir Poutine s’est affiché en champion du nouveau monde lors de cette septième édition du Forum économique de l’Est (FEE). À ses côtés, trois chefs d’État (Mongolie, Birmanie, Arménie) et le numéro 3 du régime chinois. Alors que la Russie s’enlise en Ukraine, il s’agit de montrer que Moscou se préoccupe aussi de sa partie orientale et que l’Asie est désormais une nouvelle frontière pour ses ambitions mondiales.
Le discours prononcé par Poutine est dans la continuité de celui qu’il a effectué en juin au Forum économique de Saint-Pétersbourg. Pour le président russe, il s’agit de bâtir un nouveau monde, un nouveau pôle mondial qui concurrence l’Occident et qui s’en affranchisse.
Indépendant de l’Occident
L’indépendance à l’égard de l’Occident est tout à la fois juridique, économique, financière et politique. Juridique, en cherchant à ne plus être soumis à ses lois et à ses juridictions ; économique, en renforçant le partenariat avec la Chine, notamment pour les ventes d’hydrocarbures ; financière, en créant des outils pour ne plus faire usage ni du système Swift ni du dollar et donc politique en mettant en place une sphère mondiale qui ait son propre centre et qui soit indépendant des États-Unis.
Ce que propose Vladimir Poutine, c’est la concrétisation de la démondialisation, qui n’est pas la fin de la mondialisation instaurée dans les années 1990, mais une nouvelle étape de celle-ci, où l’Occident n’est plus monopolistique et où l’Asie joue sa propre partition. En proposant de bâtir un nouveau monde qui soit tourné vers l’axe Asie-Pacifique, Poutine ne cherche pas à y inclure uniquement les pays d’Asie, mais aussi ceux d’Afrique et du Moyen-Orient. Reprenant la rhétorique soviétique de la libération des peuples opprimés, il accuse l’Occident d’affamer le tiers-monde en empêchant l’exportation des céréales ukrainiennes et de mener une politique coloniale en Afrique en y imposant sa vision politique. Puisque l’Occident cherche à affaiblir la Russie en l’isolant de la scène mondiale et en la coupant de ses débouchés économiques, Poutine réplique en tentant de faire la même chose, c'est-à-dire d’isoler l’Occident des autres continents en les attirant vers la zone Asie-Pacifique. Un espace dont il espère être l’un des acteurs principaux, en s’appuyant sur son allié chinois.
Des morts et du vent
Si les ambitions sont grandes et le projet cohérent, il est loin le passage des mots à la réalité. La Russie reste handicapée par son déficit démographique. Près de 40 000 soldats sont morts en Ukraine. 40 000 jeunes hommes morts, à quoi s’ajoutent les blessés psychologiques et physiques. C’est beaucoup pour un pays qui connaît un vieillissement de sa population, une très faible natalité et une espérance de vie masculine qui dépasse difficilement les 65 ans. La jeunesse est une ressource rare en Russie, ce qui obère son avenir et ce qui interdit de trop la gaspiller dans la guerre ukrainienne.
La Russie veut un partenariat avec la Chine. Mais elle pèse bien peu avec ses 144 millions d’habitants et son territoire certes immense, mais en grande partie vide et sous-exploité. La Chine est certes intéressée par les hydrocarbures russes, mais elle a moins besoin de la Russie que la Russie n’a besoin d’elle. La défiance à l’égard de l’Occident est partagée à Pékin et à Moscou, mais la réalité économique s’impose. Le dynamisme des entreprises et des innovations techniques, la richesse des populations, les échanges commerciaux se font essentiellement avec l’Europe et les États-Unis, pas avec la Russie. La Chine ne peut nullement se couper de l’Occident, de la Corée du Sud et du Japon. "Le mur de l’argent" s’impose aux rêves géopolitiques.
À Vladivostok, Vladimir Poutine a fait part de ses rêves. Mais les chefs d’État présents sont des dirigeants de pays mineurs à la puissance stratégique faible. Pour la Russie, le partenariat avec l’Allemagne et la France est beaucoup plus important que celui avec la Mongolie et l’Arménie. Pendant que Poutine dresse ses rêves de nouveau monde sur les bords du Pacifique, les pays d’Asie centrale, notamment le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et l’Azerbaïdjan, se détachent de la Russie et renforcent leurs échanges avec l’Europe. Poutine rêve d’Asie, mais son "étranger proche" est en train de lui échapper.
On peut refaire le monde en étalant ses rêves et ses projets, mais les mots et les désirs ne font pas toujours une réalité. Après la parenthèse Vladivostok, le quotidien de la guerre et des rapports de force politique et économique reprend le dessus.
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