Chronique
Élizabeth II : une reine mondiale
par Jean-Baptiste Noé

Le Royaume-Uni n’est pas le seul État d’Europe à disposer d’une monarchie, mais ni l’Espagne, ni la Norvège, ni aucun autre État a fait de sa famille royale un instrument de puissance à l’international. Cela est certes dû à la puissance anglaise, au fait que le roi d’Angleterre règne aussi sur le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ainsi que d’autres États du Commonwealth, mais l’aura de sa personne dépasse le cadre de cette association. Le décès d’Élizabeth II est un événement international parce que l’Angleterre a su s’appuyer sur son image comme instrument de sa puissance et de son influence.

Séries, musiques, objets populaires

Les touristes peuvent acheter des objets aux effigies du monarque. Certes les mugs, sets de table, boule à neige ou petits drapeaux sont d’un goût douteux, mais ils participent à une certaine influence en se faisant l’objet incontournable que les touristes, de passage en Angleterre, rapportent chez eux. La Reine a su apporter du rêve, ce désir de princesse, de contes de fées et d’intemporalité auquel chacun aspire. Nul ne peut rester insensible aux mariages royaux, avec son cortège de robes, d’uniformes, de calèches, de fanfares et de couleurs, ni à la gravité des deuils et des décès, comme celui du prince Philip en 2021. Dans une Europe divisée par la politique, par les tensions entre des courants extrémistes, des joutes verbales violentes, la famille royale d’Angleterre a tenu son rôle d’unité. Parce qu’elle est au-dessus des partis, elle s’affranchit de la politique et peut donc demeurer un point d’ancrage pour la société en cimentant l’unité du corps social. La reine est devenue un bien commun pour les Britanniques et, d’une certaine façon, pour beaucoup d’Européens.

Elle fut aidée en cela par les séries et les films qui furent consacrés à l’histoire récente du Royaume-Uni. Downton Abbey, The Crown, The Queen, Peaky Blinders, autant de séries historiques qui marquent les succès télévisuels des dernières décennies et qui véhiculent un esprit british qui contribue à porter la culture et la puissance britannique. Aucun autre pays européen n’a réussi à faire de même, et ce n’est pas faute pour eux d’avoir une histoire à développer et à raconter. Rien en Espagne, claquemurée dans ses divisions internes et les remords de la guerre civile. Rien en France, alors que l’industrie cinématographique et télévisuelle abonde sous les subventions et ne manque ni de moyens ni de talents. Rien en Autriche, alors qu’il y aurait beaucoup à faire pour valoriser le passé. Seuls les Italiens parviennent à concilier leur histoire avec des séries de qualité. La RAI multiplie les séries sur les papes du XX^e siècle et dernièrement une série consacrée à Romulus et Rémus, tournés en latin archaïque, fut diffusée à la télévision et désormais sur Amazon.

Quand le cinéma anglais explore son histoire, c’est pour en exalter les pages glorieuses, comme Le Discours d’un roi ou Les heures sombres. Le cinéma français ne semble traiter la Seconde Guerre mondiale que sous l’angle de la dérision (Papy fait de la résistance, La 7^e Compagnie) ou du remords (les nombreux films consacrés à la collaboration). Rien sur la bataille de Bir Hakeim ou sur l’épopée de Leclerc et de la 2^e DB. Avec son cinéma, le Royaume-Uni transmet une partie de son histoire à l’étranger, s’en servant pleinement comme d’un levier de soft power.

Une famille allemande si anglaise

Beaucoup plus préparé que sa mère, dont l’accession au trône fut imprévue du fait de l’abdication de son oncle et du décès prématuré de son père, Charles III est beaucoup plus politique qu’il n’y paraît. Des défis importants l’attendent, mais pas forcément plus importants que ceux rencontrés par sa mère. Le principal étant de former son fils et son petit-fils pour que, le moment venu, ils puissent assurer la continuité du trône et de l’État. Il revient à cette famille, issue d’une branche allemande, de symboliser et de représenter l’Angleterre et l’esprit britannique.

C’est en 1917 que cette famille abandonna son nom de Saxe-Cobourg-Gotha pour celui de Windsor, afin de se protéger du sentiment anti-allemand en vigueur durant la guerre. Édouard VIII, éphémère roi en 1936, ne cachait pas ses sympathies pro-allemandes, voire pro-nazies, ce qui contribua à encourager son abdication, en plus de son souhait d’épouser Wallis Simpson. Accoutumée à l’Angleterre, possédant de nombreux cousinages en Europe, la famille Windsor dispose d’une influence non négligeable sur les familles régnantes du continent. En plus de contribuer à l’unité du Royaume britannique, la famille royale participe à l’influence et à la puissance culturelle de l’Angleterre, bien au-delà de ses frontières.