Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Le Sénégal entre deux eaux
par Jean-Baptiste Noé
Pays réputé stable et modèle pour l’Afrique de l’Ouest, le Sénégal connaît des troubles qui menacent sa structure politique. Le silence de son président Macky Sall sur ses intentions pour 2024 attise les convoitises.
Macky Sall se représentera-t-il en 2024 ? En théorie, non, la constitution lui interdisant de faire plus de deux mandats. Mais élu une première fois en 2012 pour sept ans puis réélu en 2019 pour cinq ans, celui-ci laisse planer le doute et n’a pour l’instant livré aucune intention pour 2024. En cause, l’attrait du pouvoir certes, mais aussi une discussion juridique sur le sens des deux mandats. Le mandat présidentiel étant passé de 7 à 5 ans, faut-il interpréter la constitution de façon restrictive (2 mandats élus) ou de façon extensive (2 mandats de 5 ans) ? Les soutiens de Macky Sall invoquent cette vision pour justifier d’une candidature l’année prochaine.
Dakar en ébullition
Mais cette tentation de Dakar fragilise l’image de Macky Sall à l’international, lui qui disposait, jusqu’à présent, d’une aura excellente, tant en Occident qu’en Afrique, où sa présidence réussie de l’Union africaine lui a donné une stature de grand politique. À l’automne 2021, il se murmurait même qu’il pourrait briguer la direction de l’ONU, moyen de mettre ses pas dans ceux de Koffi Annan et de sortir par le haut de son mandat sénégalais. D’où des tergiversations sur son silence : s’agit-il de préparer son élection de 2024 ou d’effectuer une habile pression sur la communauté internationale pour ouvrir en grand les portes de l’ONU ?
Toujours est-il que Dakar est en ébullition. Aminata Touré, éphémère Premier ministre de Macky Sall (2013-2014), pourtant élue sur les listes présidentielles en juillet 2022, vient d’être destituée de son poste de député. La raison ? Une prise de distance avec Macky Sall, ce qui lui a valu un recours de l’Assemblée aboutissant à sa déchéance. L’intéressée a beau démentir la légalité de la manœuvre, elle sera restée encore moins longtemps à l’Assemblée qu’à la tête du gouvernement sénégalais. Ce qui promet des tensions vives dans les semaines qui viennent.
Ousmane Sonko en embuscade
D’autant que le principal opposant de Sall, Ousmane Sonko, est en embuscade. Lui s’est déclaré pour la présidentielle de 2024 et il entend bien empêcher une nouvelle élection de l’actuel président. Mais le voici avec un procès sur le dos, pour une histoire de mœurs qu’il dément. Selon ses dires, ce serait un coup monté du camp Sall pour salir son image, le faire condamner et ainsi éliminer un opposant.
Loin d’attendre la tenue du procès, le 2 février prochain, Sonko a rassemblé ses troupes. Dans les rues de Dakar, ce sont des milliers de partisans qui se sont regroupés, drapeaux sénégalais à la main, pour acclamer leur héros. Sonko, en veste treillis vert kaki, juché sur une voiture décapotable, a traversé des rues de Dakar en liesse. Rejetant les accusations de viol, présentées comme un complot politique, il a enjoint son camp à le soutenir et à chasser Macky Sall. Une foule nombreuse et survoltée a suivi son meeting, brandissant des drapeaux sénégalais, filmant les scènes de liesse pour les diffuser sur Tik Tok. Dans ce Sénégal où beaucoup d’habitants manquent du nécessaire, tous disposent d’au moins un téléphone, assurant ainsi un lien fort entre les habitants et donc un moyen de diffusion des événements politiques.
Risque de chute
Le Sénégal entre dans une ébullition politique qui ne peut qu’inquiéter. Après l’effondrement du Burkina, du Mali, de la Centrafrique, il n’est nullement nécessaire que le pays de la Casamance, dont Dakar est l’une des grandes portes de l’Afrique de l’Ouest, tombe à son tour. Que le jeu politique puisse se faire librement est une volonté défendue par les Occidentaux, que cela conduise à l’anarchie et à la fin de la stabilité est en revanche un risque que personne en Europe ne veut prendre.
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