Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Le message des aéroports
par Jean-Baptiste Noé
L’aéroport dit beaucoup des liens de subordination et des relations qu’entretiennent les États. Plaque tournante des voyageurs, il est imbrication d’échelles et de frontières. Il délivre un message sur la place de son pays et sur son influence.
En regardant Le Clan des Siciliens et cette scène où Jean Gabin et Alain Delon montent dans l’avion, on peut avoir une légitime nostalgie de cette époque où prendre l’avion était beaucoup plus simple. Un billet, une valise, et il suffisait de gravir l’escalier pour s’asseoir à sa place. Aujourd'hui, des contrôles multiples, qui obligent à déposer vêtements et affaires et des listes longues à la Prévert de tout ce qu’il est interdit de prendre. À l’heure où toutes les frontières s’évaporent, l’aéroport est le seul lieu au monde qui en voit au contraire la multiplication. Dans cet espace restreint et clos, chaque couloir établit sa frontière, qui ne peut être franchie sans la carte adéquate.
Zone publique et zone réservée aux voyageurs, zones internationales, salon grand voyageur, parties réservées aux équipes de l’aéroport, ce sont des murs de verre qui se dressent littéralement pour indiquer aux voyageurs les lieux autorisés et les lieux interdits. Il est vrai que si Gabin et Delon montent aussi facilement dans l’avion, c’est pour le détourner et dérober les bijoux au nez de la police américaine. La sécurité a pris le pas et il paraît incroyable de se souvenir que, encore dans les années 1990, on pouvait prendre un couteau dans l’avion et, jusqu’aux débuts des années 2000, des liquides de plus de 100 ml. L’aéroport est un message de la mondialisation et des évolutions sécuritaires et commerciales du monde.
Nœud et réseaux
Lire le panneau des arrivées et des départs indique au sein de quel nœud de réseaux s’inscrit l’aéroport. Les villes desservies, plus ou moins nombreuses, témoignent de l’importance de l’aérogare. Et c’est là un enjeu étatique. Quand la France décide d’agrandir Orly, c’est bien pour peser en Europe, afin d’attirer voyageurs et entreprises. Quand il est décidé de construire Roissy Charles-de-Gaulle, c’est là aussi pour rivaliser avec l’Angleterre et avec l’Allemagne. Roissy, c’est près de 80 000 emplois et de nombreux sièges d’entreprise. L’aéroport dépasse le simple objet de l’avion ; les enjeux en sont bien plus importants. C’est ce qu’a compris la Turquie qui a édifié un nouvel aéroport à Istanbul qui se veut la porte du troisième monde. Cette ville du ciel est la vitrine de la Turquie moderne d’Erdogan. Il capte les flux de voyageurs qui se rendent en Asie centrale, au Proche-Orient et en Afrique. Même si l’on ne fait qu’y passer en transit, il doit montrer la puissance de la Turquie renouvelée, notamment par son immense galerie marchande, à l’architecture de grand bazar moderne.
Toutes les routes aériennes du Moyen-Orient convergent vers Istanbul, qui renvoie les passagers vers l’Europe. Ce nouvel aérogare devient port principal qui disperse ensuite vers les ports secondaires. Il concurrence même Paris pour les vols vers l’Afrique noire, nombreux étant les Africains qui préfèrent un vol avec escale via Istanbul plutôt qu’un vol direct au départ de Roissy, la ligne stambouliote étant moins onéreuse. Ainsi, la Turquie marque physiquement son influence avec l’Afrique. En 2021, Istanbul Airport était le deuxième hub mondial, derrière Dubaï, mais devant Amsterdam et Paris. Se dirige-t-on vers des "pays aéroports" ? Des lieux où l’on atterrit pour profiter des hôtels et des boutiques, avant de repartir vers son pays d’origine ? C’est ce que tente Dubaï et c’est le chemin suivi par Istanbul, qui est déjà l’une des capitales du tourisme médical.
Image du pays
Si l’aéroport témoigne des rapports de force, il est aussi la vitrine de son pays. L’Azerbaïdjan a tenu que l’aéroport de Bakou reprenne des éléments architecturaux locaux et traditionnels, certes modernisés, ce qui tranche avec le style international de verre et d’acier, à la fois impersonnel et reproductible à l’infini. Lorsque Rome a refait Fiumicino, un grand soin a été accordé aux boutiques de la galerie marchande qui, de la nourriture à la mode, reflètent l’excellence italienne et l’idée que l’on se fait de l’Italie. L’aéroport est un enjeu de puissance qui dépasse le simple cadre de l’avion. Quand on voit l’ardeur et les moyens financiers que les pays non européens mettent à développer leur aérogare, on comprend que l’avion dispose encore d’un long avenir.
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