Chroniques / Jean-Baptiste Noé
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Jean-Baptiste Noé
Chronique
Birmanie : deux ans après, un pays étouffé
par Jean-Baptiste Noé
Deux ans après le coup d’État qui a remis la junte militaire en selle, la Birmanie connaît une nouvelle série de crises politiques et des problèmes sociaux et économiques majeurs. La contestation contre les militaires dépasse le simple cadre de la capitale et des rivalités ethniques classiques. Même au sein des Birmans, des fractures apparaissent pour demander le changement de régime, ce qui accroît la répression et l’emprise militaire de la junte.
En 2020, les élections ont donné une large victoire au parti d’Aung San Suu Kyi et à ses alliés et ont soldé la défaite du parti de la junte militaire. Un échec qui a certes contraint l’armée à composer et à s’entendre avec ses opposants, mais qui n’a pas mis un terme à leur contrôle de l’État. Tout bascule le 1er février 2021. Ce jour-là, le général Min Aung Hlaing fait arrêter Aung San Suu Kyi, bloque le Parlement, déclare l’état d’urgence et s’installe à la tête d’un conseil d’administration de l’État. Le coup d’État donne une fin de non-recevoir aux espoirs démocratiques.
Face aux manifestants, la junte a répliqué avec brutalité, multipliant les arrestations et les exécutions. Depuis lors, le pays est plongé dans une terreur politique dont nul ne perçoit l’issu possible. Quant à Aung San Suu Kyi, elle a été condamnée à 33 ans de prison pour corruption. Un motif bien commode pour se débarrasser d’un opposant politique.
La drogue comme moyen de vivre
Alors que la junte avait longtemps combattu la production de drogue, cette politique semble connaître un revirement. Un rapport de l’office de l’ONU contre la drogue a ainsi montré que la production d’opium avait été multipliée par deux entre 2021 et 2022. L’ONUDC estime ainsi que la production est montée à 790 tonnes, approchant le plus haut historique du début des années 2010. De l’opium qui sert ensuite à produire l’héroïne qui est consommée sur les marchés européens.
La production de pavot se concentre essentiellement dans les régions du nord-ouest, situées à proximité d’une frontière (Chine, Thaïlande, Laos), ce qui permet une exportation plus aisée. Fait inquiétant : la productivité est elle aussi en hausse. Alors qu’en 2005 un hectare produisait environ 8 kg d’opium, c’est aujourd’hui 20 kg ; preuve que les moyens de production et de raffinage se sont améliorés.
Du coup d’État à la guerre civile
À la suite des répressions conduites par la junte, plusieurs Birmans se sont regroupés en groupes militaires, entraînés et organisés par leur ethnie d’origine. Dans les montagnes et les forêts, ces groupes harcèlent les militaires, multipliant les actions de guérillas. Le regroupement de ces mouvements a pris le nom de Force de défense du peuple (FDP), bien décidé à taire les rivalités pour chasser de Rangoun la junte actuelle. C’est toute la Birmanie qui a ainsi basculé dans la guerre et pas seulement la capitale. L’armée attaque régulièrement des villages soupçonnés d’abriter des membres du FDP, aggravant d’autant la situation humaine.
Deux ans après le début des affrontements, la situation militaire est mitigée. L’armée officielle peine à recruter et à payer la solde. Pour ce faire, elle a accru la masse monétaire, aggravant d’autant l’inflation. Face à elle, le FDP manque de munition et de système de défense et connaît l’usure des résistants qui n’arrivent pas à percer. D’autant que le régime est soutenu par la Chine quand le FDP manque d’aide internationale.
À ces problèmes militaires s’ajoute une crise sociale majeure. Entre les personnes déplacées, les maladies qui se développent, notamment dans les camps insalubres, les pénuries alimentaires et pharmaceutiques, la population birmane connaît une hausse de la pauvreté et de la mortalité. La junte compte aussi sur cela pour imposer son pouvoir et mater les opposants.
La pauvreté encourage la population à se remettre à la culture du pavot, moyen pour elle de subsister et de s’insérer dans l’économie mondiale. Une culture qui fait florès dans la région du Triangle d’Or, à la frontière du Laos et de la Thaïlande que parcourt le Mékong. Les vieilles habitudes ont repris, ce qui est inquiétant non seulement pour la Birmanie, mais aussi pour ses pays voisins. Entre drogue et guerre civile, les problèmes birmans risquent en effet de déteindre sur l’ensemble de l’Asie du Sud-Est.
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