Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Mexique : un pays rongé par la drogue
par Jean-Baptiste Noé
L’arrestation d’Ovidio Guzman, fils de Joaquin Guzman, a provoqué des émeutes d’une violence rare, fragilisant l’armée et l’État de droit. Sous l’effet de la drogue et des cartels, l’État mexicain est en train de se dissoudre.
Celui qui est surnommé "El Raton" (la Souris), fils d’El Chapo, le célèbre trafiquant de drogue mexicain, a été arrêté dans son fief de Culiacan, dans le nord-ouest du pays, le 5 janvier dernier. Une opération de police qui a nécessité la mobilisation de très nombreux policiers ainsi que d’une partie de l’armée, dont l’armée de l’air, afin d’assurer son transfert jusqu’à Mexico. Arrêter est un mot bien faible pour décrire la scène. Avant que la police ne puisse le prendre, celui-ci a donné l’ordre à ses partisans de répliquer.
La ville s’est soulevée contre les forces de l’ordre, plusieurs de ses hommes ont investi l’aéroport international, tirant abondamment sur les forces de la Défense. Des tirs de feux particulièrement nourris ont éclaté dans plusieurs points de la ville, des barrages ont été dressés à l’aide de véhicules incendiés. Une émeute à balles réelles pour bien signifier au gouvernement central que dans cette terre éloignée de la capitale, ce n’est pas lui qui fait la loi. Le bilan humain est monté à 29 morts, dont 10 militaires. Loin de l’usage de feux d’artifice, c’est avec des armes de guerre que les habitants ont attaqué les policiers. Si El Raton a finalement pu être exfiltré par avion, les trois appareils de l’armée de l’air ont été copieusement criblés de balles.
Des cartels dominants
Le président mexicain peut se réjouir. Quatre ans auparavant, en 2019, El Raton avait déjà été arrêté et incarcéré. Mais à la suite d’un soulèvement d’une grande violence à Culiacan, il avait été finalement relâché, sur ordre du président, afin de calmer les émeutiers. La loi s’était couchée devant la violence, signifiant ainsi que le crime l’emporte sur l’état de droit.
Beaucoup a été tenté contre la drogue : la répression, les arrestations, les destructions de champs de production. Rien n’y a fait. La production continue de croître, au rythme des consommations occidentales, les trafics continuent de se développer, s’ouvrant de nouveaux marchés. Le golfe de Guinée est ainsi devenu la porte d’entrée vers l’Afrique où une partie est consommée et une autre expédiée en Europe. Le cartel de Sinaloa dispose de nombreux laboratoires clandestins qui produisent près de 2 000 kg mensuels de méthamphétamines. De quoi générer beaucoup d’argent et de corrompre beaucoup de monde. Au total, d’après les autorités onusiennes, le marché de la drogue mexicain générerait un chiffre d’affaires annuel de 50 milliards de dollars.
Violence extrême
Le Mexique est aujourd’hui, avec les Philippines et le Brésil, l’un des pays les plus dangereux au monde. Le nombre d’homicides a triplé entre 2001 et 2021, passant de 10 200 à 33 300. Le nombre d’homicides par arme à feu est de 25 500. Si tous ces meurtres ne sont pas liés aux narcos, beaucoup ont un lien avec eux. Cela donne un taux d’homicide de 28 pour 100 000 habitants, quand il est de 6 aux États-Unis et de 1.3 en France. En 10 ans, il y a eu autant de morts par balles au Mexique qu’en Syrie. Un tiers des homicides concernent des hommes de moins de 29 ans, ce qui donne une idée du drame social que traverse le pays. Les cartels disposent de fusils d’assaut et de véhicules blindés et sont bien souvent plus puissamment armés que la police et peuvent faire jeu égal avec les autorités militaires. En bien des lieux, c’est leur loi qui domine et non celle de l’État.
Dans ces zones montagneuses, propices à la culture et à la transformation de la coca, frontalières des États-Unis et des ports des Caraïbes, il est facile de produire et d’exporter. Un fonctionnement industriel presque normal s’il ne s’agissait de haute criminalité et de violence acharnée. À quoi s’ajoute la corruption des juges et des politiques, de quoi gangrener un État pour que personne n’ait intérêt à contribuer à arrêter le système. En dépit des annonces politiques pour mener la guerre à la drogue et des coopérations avec Washington, rien n’enraye le développement des cartels, qui étouffe et détruit le pays dans lequel il se développe. Un cancer mafieux qui fait du Mexique un narco-État bien difficile à sauver.
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