Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Turquie : Erdogan assure sa victoire
par Jean-Baptiste Noé
Recep Tayyip Erdogan est finalement arrivé en tête de la présidentielle turque. Il est bien parti pour remporter le second tour et ainsi poursuivre sa politique de restauration nationale conduite depuis 20 ans. C’est la démonstration de sa popularité et de sa capacité à replacer la Turquie au centre des relations internationales.
Alors que les sondages annonçaient une victoire de l’opposition, c’est finalement Erdogan qui est arrivé en tête du premier tour. Avec 49,5 % des voix, il a frôlé la réélection, témoignant ainsi d’un soutien réel et massif d’une majorité de la population turque. Ni le chômage, ni l’inflation, ni la corruption dénoncée lors du tremblement de terre n’ont mis à bas la popularité et l’adhésion à Erdogan. Dans les régions touchées par le séisme, celui-ci est arrivé en tête du scrutin, preuve que la population locale ne lui tient pas rigueur des défaillances de l’État turc.
Il a également remporté les élections législatives qui se tenaient le même jour puisqu’il obtient 322 sièges sur 600 avec son parti et ses alliés. Quand bien même il viendrait à perdre la présidentielle, l’AKP est ainsi assurée de conserver le pouvoir.
Raisons multiples d’une victoire
La victoire d’Erdogan repose la conjonction de deux facteurs : un attachement à sa personne et à sa politique, un manque de charisme de son adversaire. Kemal Kiliçdaroglu a été le leader par défaut de l’opposition, le maire d’Istanbul ne pouvant pas se présenter à la suite de problèmes judiciaires. Peu connu, peu charismatique, il a tout de même atteint les 45 % mais sans inspirer un réel souffle à sa campagne ; ses électeurs ayant plus voté contre Erdogan que pour Kiliçdaroglu. Le fait qu’il se revendique ouvertement alévi, une branche schismatique de l’islam sunnite, en opposition avec la religion majoritaire en Turquie, l’a indéniablement desservi.
Erdogan n’a pas manqué de faire remarquer que son adversaire ne respectait pas le ramadan et n’était pas un bon musulman. C’est que malgré ses vingt ans de pouvoir, et l’usure qui en découle, malgré le virage autoritaire pris depuis 2016 et les turbulences économiques du pays, Erdogan demeure un pôle de stabilité et de sécurité. Voisine de la Syrie et de l’Irak, la Turquie aurait pu être contaminée par l’effondrement du Moyen-Orient. Il n’en fut rien. La dissidence kurde est contrôlée, l’unité territoriale du pays a été sauvegardée. De tout cela, une large partie de la population lui en est reconnaissante.
La Turquie est en outre revenue sur la scène internationale. Membre de l’OTAN elle est pourtant partenaires de Moscou pour ouvrir des négociations, tout en livrant des drones à l’Ukraine. Elle interdit le passage des navires de guerre russes dans ses détroits, tout en aidant la Russie à négocier l’exportation des blés à travers la mer Noire. La politique internationale d’Erdogan est incontestablement un succès et une grande partie de l’opinion publique lui en sait gré. Pour beaucoup de Turcs, le nationalisme est une question plus importante que le pouvoir d’achat.
Soutien de la diaspora
Le vote de la diaspora turque en Europe était scruté et il n’a pas manqué d’être un large succès pour Erdogan. Que ce soit en Allemagne, en France ou en Belgique, près des trois quarts des électeurs ont choisi Erdogan. Ce qui, compte tenu de leur poids démographique, n’est pas un soutien négligeable. Or c’est aussi un défi lancé aux pays européens. La politique islamo-nationaliste d’Erdogan séduit une grande partie de la jeunesse turque vivant à Berlin, à Cologne et à Paris. Moins concernées par les problèmes de politique intérieure et les ratés de l’économie, ces populations sont plus attentives et plus sensibles à la présence turque sur la scène internationale et au rôle de la Turquie en Asie et en Afrique.
Or le fait que cette élection présidentielle soit autant commentée en Europe, avant le premier tour puis les résultats, démontre que la Turquie est bien revenue sur la scène mondiale, ce qui est une victoire incontestable d’Erdogan. On ne s’intéresse guère à la présidentielle en Croatie ou aux législatives au Portugal, des pays pourtant géographiquement plus proches et membres de l’UE. L’attention portée à cette élection dans les chancelleries européennes montre bien qu’Ankara est devenue l’un des hommes forts de l’Europe et que la politique turque nous concerne directement.
Ce qui n’est pas sans créer des distorsions d’analyse. Parce que beaucoup ne voulaient pas une victoire d’Erdogan, ils ont surestimé la puissance de son adversaire et le rejet de la population. Puisqu’Erdogan ne correspond pas aux valeurs de l’UE, il ne pouvait pas être élu. Le résultat des urnes a démontré l’inverse. Cette erreur de jugement n’est pas sans rappeler celle du Brexit et de l’élection de Donald Trump et nous rappelle qu’en géopolitique le sentiment personnel doit s’effacer au maximum derrière les réalités, aussi mal aimées soient-elles.
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