Feuilleton de l'été / Clémence Lenoir
Feuilleton de l'été
Clémence Lenoir
Série d’été - ces jeunes leaders qui construisent la France de demain / Clémence Lenoir, conseillère macroéconomie et politiques publiques d’Emmanuel Macron et Gabriel Attal
Docteure et administratrice de l’Insee, cette normalienne de 33 ans a fait ses armes au sein des hautes sphères de Bercy lors de temps agités. Mordue d’économie, elle s’efforce d’éclairer les décisions du chef de l’État et du Premier ministre sur la question.

C’est en parcourant l’œuvre d’une future Prix Nobel que Clémence Lenoir a vu naître son intérêt pour les sciences économiques. "Au début des années 2010, Esther Duflo avait publié des ouvrages où elle montrait comment l’analyse économique pouvait éclairer le fonctionnement de la société et la manière dont les politiques publiques pouvaient aider à faire baisser le chômage et les inégalités ainsi qu’améliorer le système éducatif. Cela m’a beaucoup plu", explique-t-elle à WanSquare. En classes préparatoires, Clémence Lenoir prend conscience que son désir profond est de faire de la recherche. En conséquence, elle tentera le concours de l’École normale supérieure de Cachan (aujourd’hui ENS Paris-Saclay), concours qu’elle réussira.
A l'ENS, elle prend plaisir à découvrir les mathématiques sous un nouvel angle mais aussi l’économétrie. Un stage en microfinance au sein d’une ONG, où l’économie du développement aura toute sa place, la confortera dans son choix. Voulant donner à son cursus une coloration davantage scientifique, technique, empirique, elle étudiera à l’ENSAE et parviendra à rejoindre le corps des administrateurs de l’Insee. "Dans la foulée, je me suis lancée dans une thèse sous la direction d’Isabelle Méjean et Francis Kramarz, dont j’avais déjà pu bénéficier de l’encadrement lors de mon mémoire de fin d’études sur l’économie internationale", indique-t-elle. Cette dernière problématique passionne la jeune femme. Il faut dire que Clémence Lenoir est alors marquée par la résurgence de guerres commerciales et la montée du questionnement afférent aux retombées économiques positives de la mondialisation. Au cours de son doctorat, elle se permettra de faire un passage à Yale où elle a pu profiter des conseils de Samuel Korkum, chercheur dont les modèles sur le commerce international (avec ceux de Jonathan Eaton) inspiraient ses travaux.
Après quatre ans de recherches, Clémence Lenoir soutiendra sa thèse fin 2019. "J’ai essayé de regarder le commerce international non plus comme un lien entre pays, où beaucoup de choses nous échappent, mais entre entreprises exportatrices et importatrices, ce qui permet de mettre en lumière des frictions informationnelles. À l’aide de données très fines, j’ai pu examiner notamment l’ampleur des difficultés de rencontres entre une entreprise exportatrice et ses clients. Ces problèmes d’appariement ont une incidence macroéconomique significative", détaille-t-elle, ayant aussi tenté d’intégrer la variable "marché du travail".
"Quand un directeur commercial change d’entreprise, est-ce que ses clients à l’exportation le suivent ? Oui, mais ce n’est pas un jeu somme nulle. En effet, même si elle perd son commercial, l’entreprise ne perd pas tous ses clients. De sorte que, l’économie française dans son ensemble a intérêt à cette ‘diffusion du portefeuille clients’ car ses entreprises exportent davantage ex-post", illustre Clémence Lenoir. "Ces ‘effets de réseaux’ sont encore mal appréhendés en France, ce qui tend à corroborer l’idée selon laquelle nous sommes un pays d’ingénieurs et non de commerciaux", ajoute-t-elle.
Par la suite, elle se consacrera à plein temps à la Direction générale du Trésor (DG Trésor), administration influente de Bercy qu’elle avait intégrée tandis qu’elle fignolait sa thèse. Elle y est adjointe au chef du bureau "marché du travail, prévisions et politiques de l’emploi", bureau dont elle prendra la tête deux ans plus tard et qui revêt une importance toute particulière alors que la France est aux prises avec la crise pandémique. "Nous avons réalisé tous les chiffrages concernant la calibration du dispositif d’activité partielle, il s’agissait de définir notamment le taux de remplacement pour les salariés et le public éligible. Par la suite, nous avons participé à la conception des dispositifs ‘1 jeune 1 solution’ liés au plan de relance qui permettaient de doper les aides à l’apprentissage pour soutenir l’emploi", détaille Clémence Lenoir.
Nous sommes au printemps 2022, la normalienne gravit encore un échelon et devient pendant une courte période conseillère "politique économique" au sein du cabinet d’Emmanuel Moulin, directeur du Trésor. Elle travaillera de manière étroite avec Agnès Bénassy-Quéré, cheffe économiste de la DG Trésor. "C’est un rôle assez transversal, de coordination, sur tous les sujets traités par le Trésor. Par exemple sur la question de l’endettement commun européen, le bureau ‘Europe’ aura des choses à dire, le bureau ‘Finances publiques’ également, tout comme l’Agence France Trésor qui a un avis orienté "marché". Il faut essayer de faire une synthèse de toutes ces approches", précise Clémence Lenoir. "Cela m’a bien préparée à la suite", plaisante-t-elle.
La suite se déroulera toujours à Bercy, de nouveau en cabinet. Toutefois, c’est désormais aux côtés de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, qu’elle opérera, ce en qualité de conseillère en charge de la macroéconomie. "Le moment était fascinant entre le retour de l’inflation et celui de la contrainte en matière de finances publiques dans le cadre du projet de loi de finances 2024 en raison de l’extinction de la clause qui suspendait les règles budgétaires européennes", se remémore-t-elle. La conception des politiques sociales jalonne également son quotidien. "J’étais au front pour penser les paramètres et réaliser les évaluations des réformes de l’assurance-chômage et celle du régime des retraites", indique-t-elle.
Vient l’automne 2023 où Clémence Lenoir pénètre un autre pan de l’exécutif. Elle est nommée conseillère macro-économie et politiques publiques du Président de la République, Emmanuel Macron, et d’Elisabeth Borne, Première ministre. "J’étais curieuse de voir ‘l’autre côté’, là où les arbitrages sont pris, ce qui m’a permis d’avoir un autre prisme d’analyse que celui en vigueur à Bercy en entendant les sons de cloche de l’ensemble des ministères", raconte-t-elle. "Je me suis beaucoup investie sur la création du nouveau congé de naissance en analysant notamment son impact sur le marché du travail et également sur la dernière réforme de l’assurance-chômage", confie Clémence Lenoir, qui recourt fréquemment aux éclairages de chercheurs pour l’aider dans sa tâche.
Cette mère de deux enfants ne se voit pas à terme signer son retour dans la recherche pure et dure. "Conduire des études économiques au sein d’une organisation internationale ou à l’Insee, au même titre qu’intégrer le secteur privé, sont autant de pistes qui me paraissent envisageables", estime-t-elle. Et la politique ? "Je me vois plus comme une technicienne et la vulgarisation n’est pas nécessairement mon point fort, mais sait-on jamais…", déclare Clémence Lenoir.
Reproduction et diffusion interdites sans autorisation écrite