Macro-économie / Taux
Macro-économie / Taux
L'année 2025 vue par... Patrick Artus / Conseiller économique d'Ossiam
WanSquare a demandé à des économistes et dirigeants de grandes entreprises de livrer leur vision pour 2025 après une année 2024 marquée notamment par des tensions géostratégiques toujours aussi prégnantes, le début de la normalisation monétaire, de fortes incertitudes politiques en France ou encore la prise de conscience collective du décrochage de l’Europe. Chaque jour, nous publions leurs réponses aux questions que vous vous posez et leurs attentes pour l’année qui vient. Une série à lire, partager et conserver précieusement.
Quel est votre scénario de croissance en Europe et en France pour 2025 ? De quelle manière les risques géopolitiques (Ukraine, Moyen-Orient, nouvelle administration Trump, élections fédérales allemandes) sont-ils susceptibles d’affecter vos prévisions ?
La croissance européenne va être affaiblie par plusieurs facteurs : des difficultés accrues pour exporter en raison des droits de douane que les Etats-Unis vont mettre en place ; des politiques budgétaires restrictives afin de stabiliser le taux d'endettement public ; la concurrence accrue de la Chine avec le report des produits chinois exportés auparavant aux Etats-Unis vers le marché européen. L'Europe et la France souffrent structurellement de l'absence de gains de productivité liée à la faiblesse des investissements en Nouvelles Technologies et des dépenses de Recherche-Développement. Les difficultés structurelles vont être renforcées par les difficultés conjoncturelles citées plus haut pour aboutir à une croissance faible, inférieure à 1 % en 2025.
Pour l'instant, les risques géopolitiques ont eu peu d'effets sur l'économie de la zone euro ; si D. Trump met en place effectivement son programme économique, les droits de douane accrus freineront les exportations de l'Europe, les entreprises européennes seront de plus en plus incitées à délocaliser leur production vers les Etats-Unis.
Faut-il s'attendre à une divergence marquée entre les politiques monétaires menées par la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale américaine (Fed) ?
D. Trump a prévu de mettre en place une politique économique qui sera clairement inflationniste : hausse des droits de douane, baisse des impôts, arrêt de l'immigration conduisant à une tension plus forte sur le marché du travail. Toutes ces mesures conduiront à une accélération des salaires et à une hausse de l'inflation, probablement forte ( certains analystes l'estiment à 4 points). A court terme, la croissance et l'inflation de la zone euro devraient être ralenties, par les difficultés à exporter vers les Etats-Unis, par les politiques budgétaires restrictives. On peut anticiper alors une politique monétaire plus restrictive aux Etats-Unis, plus expansionniste dans la zone euro, avec, en conséquence, une dépréciation déjà visible de l'euro par rapport au dollar.
L’année 2024 a été celle des rapports Draghi, Noyer et Letta, mais aussi celle du constat du décrochage de l’Europe. Quelles sont les mesures d’urgence à prendre au niveau européen pour renverser la vapeur et sortir le vieux continent de la tenaille Etats-Unis-Chine ?
Le décrochage de l'Europe par rapport aux Etats-Unis et à la Chine en terme de revenu par habitant ou de productivité par tête est très important depuis le début des années 2000. Ce décrochage est dû à de multiples causes : des réglementations très lourdes, des compétences de la population médiocres, l'absence de coordination des politiques industrielles, la segmentation des marchés de capitaux. Une cause importante du retard de l'Europe est le niveau de l'aversion pour le risque des épargnants et des entreprises. L'aversion pour le risque élevée des épargnants explique la faible taille des marchés des actions européennes et encore plus de celui du Venture Capital. Les fonds levés par les fonds de Venture Capital atteignent en 2023, 250 milliards de dollars aux Etats-Unis, 110 milliards de dollars en Chine et 22 milliards de dollars dans la zone euro.
L'aversion pour le risque des entreprises européennes explique la faiblesse de leurs dépenses de Recherche-Développement (1,5 % du PIB en Europe, 2,8 % du PIB aux Etats-Unis), la faiblesse des investissements en Nouvelles Technologies en Europe (2,5 % du PIB contre 4,8 % du PIB aux Etats-Unis). Cette aversion pour le risque forte des épargnants er des entreprises est bien sûr un frein à l'innovation et à la croissance.
Engluée dans une crise immobilière, l'économie chinoise est enferrée dans les difficultés depuis de nombreux trimestres; estimez-vous que le récent déploiement d’un nouvel ensemble de mesures budgétaires, monétaires et réglementaires sera de nature à les terrasser ?
Le gouvernement chinois met en oeuvre un ensemble de mesures fiscales et de politique monétaire (baisse des taux d'intérêt) pour essayer de faire repartir l'économie chinoise. Il est à craindre que la croissance de la Chine continue de ralentir malgré ces politiques économiques stimulantes. La faiblesse de l'économie chinoise vient d'abord de la démographie : avec un taux de fécondité de 1,1, la population en âge de travailler va diminuer de plus en plus ; cela prolongera la crise de l'immobilier résidentiel et affaiblira le potentiel de croissance. Avec une demande intérieure en croissance faible, en raison du vieillissement démographique, la seule possibilité pour que la Chine continue à avoir une croissance globale assez forte est qu'elle réussisse à conserver une progression rapide des exportations. Lorsque les droits de douane imposés par les Etats-Unis ne touchaient que les produits exportés de Chine, les industriels chinois pouvaient contourner ces droits de douane en exportant vers les Etats-Unis via des pays tiers (Asie du Sud-Est, Mexique...). Mais si les Etats-Unis mettent en place des droits de douane sur toutes leurs importations, cette possibilité disparaît et les exportations de la Chine vont ralentir. On doit donc prévoir la faiblesse en Chine à la fois de la demande intérieure et de la demande extérieure.
Quelle est la plus grosse menace pesant sur la stabilité financière mondiale susceptible de se matérialiser en 2025 ?
Il s'agit clairement des effets des politiques nouvelles menées aux Etats-Unis par l'administration Trump sur le Reste du Monde . Ces politiques vont faire apparaître une inflation forte et des taux d'intérêt à court terme et à long terme plus élevés aux Etats-Unis. Cette hausse des taux d'intérêt à long terme se transmettra aux autres pays (pays émergents, Europe) et aura des effets très négatifs. Dans les pays émergents, freinage de la croissance avec la hausse des taux d'intérêt à long terme et les sorties de capitaux vers les Etats-Unis provoquées par l'attrait des taux d'intérêt plus élevés aux Etats-Unis. En Europe, la hausse des taux d'intérêt à long terme va provoquer une rechute de l'immobilier résidentiel et va forcer les gouvernements à réduire encore plus leur déficit public primaire pour stabiliser les taux d'endettement publics (si le taux d'intérêt à long terme devient supérieur à la croissance nominale de long terme, il faut dégager un excédent budgétaire primaire pour stabiliser le taux d'endettement public).
En plus d’avoir failli à anticiper la dégradation sensible de ses finances publiques en 2023 et 2024, la France pourrait durablement évoluer dans une situation politique instable. Doit-elle redouter une crise de confiance sur les marchés obligataires à brève échéance ?
Avec la faiblesse de la croissance, amplifiée par la politique de réduction des déficits publics et le fait que le gouvernement français a dû renoncer à certaines baisses des dépenses (collectivités locales, sous-indexation des petites retraites) ou hausses des impôts ( réduction des allégements de charges sociales, hausse des taxes sur l'électricité), il est probable que le déficit public de la France en 2025 sera nettement supérieur à 5 % du PIB. Il approchera peut-être le niveau de 6 % du PIB alors que le déficit public des autres pays de la zone euro sera en moyenne inférieur à 3 % du PIB.
Cette anomalie française peut-elle déclencher une crise de la dette publique ? En réalité, la France est protégée par la taille de sa dette publique (112 % du PIB, plus de la moitié détenue par des non-résidents). Les investisseurs internationaux ne peuvent pas vendre la dette publique de la France qu'ils détiennent parce qu'un investissement de remplacement n'est pas disponible. Il ne faut donc pas attendre une crise brutale de financement de la dette publique de la France, mais une hausse continue de l'écart de taux d'intérêt de la France vis à vis de l'Allemagne et des autres pays de la zone euro. Ce n'est pas une crise violente de la dette française qu'il faut attendre, mais plutôt un étouffement progressif de l'économie par la hausse des taux d'intérêt à long terme.
Reproduction et diffusion interdites sans autorisation écrite

