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Macro-économie / Taux

Macro-économie / Taux

exclusif L’année 2025 vue par… Michala Marcussen / Cheffe économiste du groupe Société Générale

EXCLUSIF.

WanSquare a demandé à des économistes et dirigeants de grandes entreprises de livrer leur vision pour 2025 après une année 2024 marquée notamment par des tensions géostratégiques toujours aussi prégnantes, le début de la normalisation monétaire, de fortes incertitudes politiques en France ou encore la prise de conscience collective du décrochage de l’Europe. Chaque jour, nous publions leurs réponses aux questions que vous vous posez et leurs attentes pour l’année qui vient. Une série à lire, partager et conserver précieusement.

27/12/2024 - 09:00
Michala Marcussen - DR
Michala Marcussen - DR

Quel est votre scénario de croissance en Europe et en France pour 2025 ? De quelle manière les risques géopolitiques (Ukraine, Moyen-Orient, nouvelle administration Trump, élections fédérales allemandes) sont-ils susceptibles d’affecter vos prévisions ?

 

2025 devrait être une année de croissance modérée en zone euro. Freinée par les situations nationales et l’environnement international, nous estimons que la croissance sera de moins de 1 %. Les incertitudes, déjà fortes en 2024, devraient persister pendant une grande partie de 2025, ralentissant les investissements des entreprises et incitant les consommateurs à maintenir leur épargne de précaution à un niveau élevé. Ces incertitudes proviennent à la fois de situations politiques intérieures, notamment en France et en Allemagne, et de facteurs externes avec les conflits en cours et la menace de droits de douane de la nouvelle administration Trump. Sur une note plus positive, les prix de l’énergie restent aujourd’hui sous contrôle. Il s’agit toutefois de l’un des principaux canaux par lesquels les conflits géopolitiques pourraient se propager, ce qui mérite une attention particulière en 2025.

Un resserrement de la politique budgétaire est également en cours dans plusieurs grands États membres de la zone euro. Cela pèse sur la croissance à court terme bien qu’à plus long terme, les avantages en matière de viabilité des finances publiques sont indéniables. La demande extérieure devrait en outre rester atone. La désinflation en cours et les baisses de taux de la BCE apporteront en revanche un certain soutien. Le niveau élevé de l’épargne reste une opportunité potentielle pour la demande mais pour la débloquer, il faudra renforcer considérablement la confiance des entreprises et des ménages.

 

Faut-il s’attendre à une divergence marquée entre les politiques monétaires menées par la Banque centrale européenne et la Réserve fédérale américaine ?

 

En 2024, l’économie américaine devrait enregistrer une croissance du PIB réel plus de deux fois supérieure à celle de la zone euro, à environ 2,5 %. En 2025, les baisses d’impôts et la déréglementation annoncées devraient dans un premier temps soutenir la dynamique positive de la croissance américaine. Paradoxalement, le niveau élevé de l’immigration, qui a contribué ces dernières années à contenir la spirale salaires-prix et à stimuler la consommation privée, pourrait bientôt brusquement prendre fin. Combiné à des tarifs douaniers plus élevés, cela ajouterait aux pressions inflationnistes et réduirait la marge de manœuvre de la Fed pour baisser ses taux. Il convient de rappeler que le point de départ de la deuxième administration Trump est très différent de celui qui prévalait en 2017. À l’époque, le taux des fonds fédéraux n’était que de 0,75 % et les États-Unis avaient connu une longue période de faible inflation. Aujourd’hui, le taux des fonds fédéraux s’élève à 4,75 %, l’inflation restant supérieure à l’objectif, bien que bien en deçà du pic de 9,1 % observé en 2022. Le niveau de la dette fédérale est également beaucoup plus haut, tout comme les tarifs internationaux américains. Pour ces raisons, les risques à la hausse pour l’inflation américaine sont beaucoup plus élevés aujourd’hui et il n’est pas surprenant que les anticipations du marché en matière de baisses des taux de la Fed aient été considérablement revues à la baisse depuis les élections. Le risque qu’un boom américain à court terme se termine par un atterrissage brutal est beaucoup plus grand qu’en 2017.

La Fed n’est que trop consciente de ces risques. 2025 promet donc de voir plus de baisses de taux de la part de la BCE que de la Fed. Il ne faut pas oublier non plus que la Fed et la BCE prendront également des décisions sur leurs programmes d’achat d’obligations. La Fed devrait mettre fin à sa politique de resserrement quantitatif début 2025, offrant un certain soutien aux rendements obligataires américains longs. La BCE, quant à elle, promet une nouvelle réduction de son bilan en 2025 ce qui, toutes choses étant égales par ailleurs, devrait resserrer les conditions monétaires. La BCE pourrait donc éventuellement infléchir son resserrement quantitatif, ce qui offrirait un autre canal de soutien à l’économie réelle.

 

L’année 2024 a été celle des rapports Draghi, Noyer, Letta et du constat du décrochage de l’Europe. Quelles sont les mesures d’urgence à prendre au niveau européen pour renverser la vapeur et sortir le Vieux continent de la tenaille USA-Chine ?

 

L’année 2024 a vu la publication de plusieurs rapports clés identifiant les causes profondes de la moindre compétitivité de l’Europe avec des solutions pour y remédier. Les idées ne manquent pas sur la manière de libérer le potentiel de croissance de l’Europe, de garantir les investissements et les emplois, et de préserver la durabilité des modèles sociaux de la région. L’obstacle à la mise en œuvre de ces idées se résume souvent à la question du partage des risques. En mettant en œuvre les fonds Next Generation EU pendant la pandémie, l’Europe a fait preuve d’une forte capacité à partager les risques et à stimuler des investissements qui profitent à tous. Attendre la prochaine crise pour faire un bond en avant en matière de compétitivité européenne aurait un coût élevé, notamment dans un environnement international de plus en plus fragmenté.

Le partage des risques n’est cependant pas le seul enjeu. Comme l’a souligné le gouverneur Villeroy de Galhau dans son discours du 26 novembre, une réglementation plus efficace et la garantie que l’Europe bénéficie de conditions de concurrence équitables au niveau international pourraient être bénéfiques.

 

Engluée dans une crise immobilière, l’économie chinoise est enferrée dans les difficultés depuis de nombreux trimestres, estimez-vous que le récent déploiement d’un nouvel ensemble de mesures budgétaires, monétaires et réglementaires sera de nature à les terrasser ?

 

La Chine cherche à trouver un équilibre délicat pour dénouer les excès passés dans l’immobilier, tout en se tournant vers de nouveaux moteurs de croissance plus durables. Ayant déjà gagné des parts de marché importantes à l’exportation et faisant désormais face à un risque accru de droits de douane, ces moteurs de croissance durable devraient être trouvés sur le front intérieur, en libérant la consommation privée et l’investissement privé.

De nombreuses mesures politiques prises en 2024 visaient à assurer un désendettement ordonné du secteur immobilier. En 2025, nous nous attendons à ce que l’accent soit davantage mis sur la consommation et les dernières annonces de la Conférence centrale sur la politique économique semblent le confirmer. Le renforcement des filets de sécurité sociale est un moyen de regagner la confiance des consommateurs et de réduire les niveaux élevés d’épargne de précaution. Cela prendra du temps, sans négliger le fait que le bien-être social est perçu par les autorités comme comportant également des risques de "paresse". Il est également à l’ordre du jour de renforcer les incitations à dépenser pour les biens durables et à absorber ainsi les capacités de production nationales excédentaires.

Bien que ces mesures soient favorables, nous estimons qu’il est nécessaire de poursuivre les réformes structurelles pour libérer l’entrepreneuriat privé. Nous prévoyons une croissance à un niveau inférieur à 5 % en 2025.

 

Quelle est la plus grosse menace pesant sur la stabilité financière mondiale pouvant se matérialiser en 2025 ?

 

Les marchés actions mondiaux ont atteint de nouveaux sommets au cours des dernières semaines de 2024. Le risque que des revers majeurs pour l’économie réelle, qu’ils soient déclenchés par des événements géopolitiques ou des erreurs politiques, puissent entraîner des ajustements substantiels des valorisations du marché n’est pas nul. Si de telles secousses pourraient faire les gros titres des journaux, les niveaux de capitalisation des banques au niveau mondial rendent très improbable une répétition de la crise de 2008.

En revanche, si la pression en faveur de la déréglementation aux États-Unis entraîne une mauvaise protection des investisseurs et une mauvaise gestion des risques, notamment dans le secteur non bancaire, cela pourrait semer des graines d’instabilité financière. Le risque de fragmentation, qu’il s’agisse de la réglementation financière mondiale ou des flux financiers mondiaux, pourrait également y contribuer.

Pour l’Europe, le risque principal est l’absence de progrès en matière d’union des marchés de capitaux. L’absence de cette union est l’une des principales raisons de la faible croissance en Europe qui, si elle se prolongeait, pourrait devenir une menace pour la stabilité financière notamment avec les risques qui en résultent pour la viabilité de la dette souveraine et la stabilité politique.

 

En plus d’avoir failli à anticiper la dégradation sensible de ses finances publiques en 2023 et 2024, la France pourrait durablement évoluer dans une situation politique instable. Doit-elle redouter une crise de confiance sur les marchés obligataires à brève échéance ?

 

La France jouit depuis de nombreuses années d’un environnement politique très stable, ce qui a apporté des avantages significatifs en maintenant le différentiel de taux d’intérêt avec l’Allemagne à un niveau modéré, soutenant ainsi l’économie réelle. La fragmentation politique provoquée par le résultat des élections de l’été dernier a déjà eu un coût important, les rendements obligataires longs français se négociant au-dessus du niveau de l’Espagne et proches de celui de la Grèce. Cet écart plus élevé freine l’investissement et l’emploi. À l’horizon 2025, il s’agit maintenant de disposer d’un budget crédible qui oriente la France sur la voie de finances publiques soutenables. Faute de quoi, la France subirait une dégradation de sa note et un élargissement supplémentaire de ses spreads, ce qui pèserait sur la croissance et, en fin de compte, imposerait une austérité sévère. En matière de finances publiques, la procrastination a un coût très élevé.

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