WAN
menu
 
!
L'info stratégique
en temps réel
menu
recherche
recherche

éditorial / Yves de Kerdrel

éditorial
Yves de Kerdrel

éditorial
Néron-Trump incendiaire
par Yves de Kerdrel

Les mesures absurdes annoncées il y a dix jours par Donald Trump en matière de tarifs douaniers ont entraîné un krach mondial qui a secoué la planète financière au cours des dernières séances. C’est le risque d’un violent krach sur la dette américaine qui a contraint le président américain à différer de 90 jours certaines de ses mesures. Mais la confiance envers la dette américaine, le dollar et même « Corporate America » est, en partie, entamée.

13/04/2025 - 06:30 Lecture 14 mn.

Difficile de synthétiser, de résumer voire de commenter les secousses boursières financières et économiques qui ont parcouru le monde entier dans le sillage des annonces faites par Donald Trump, le 2 avril dernier, à l’occasion de son fameux "Liberation Day". Annonces dont il revendiquait encore l’intelligence et la pertinence lors d’un dîner de gala, mardi soir à Washington expliquant que le monde entier débarquait dans la capitale fédérale afin de "kiss his hass"… Annonces, dont il était tellement fier, que son hubris l’a amené, au cours de cette même intervention à expliquer que les États-Unis avaient bien fait de placer dans le bureau ovale le "génie stable" qu’il prétend être depuis près de dix ans.

C’est justement l’instabilité émotionnelle de ce président et son imprévisibilité dans tous les domaines (politique, économique, diplomatique ou militaire) qui ont amené Wall Street à prendre peur. Si les marchés asiatiques ont été fortement secoués, c’est parce que les entreprises ayant des sites de production dans la zone Asie Pacifique étaient particulièrement touchées. Si les marchés européens ont surréagi, c’est en raison des craintes de perturbation sur l’ensemble des chaînes de production et de valeur des produits importés par les États-Unis. Si Wall Street a eu une réaction très violente, ce n’est pas tant par peur d’une récession annoncée, qu’en raison de la crainte d’un krach économique mondial et de graves perturbations sur la dette américaine.

 

La référence troublante à la loi Smoot-Hawley

 

Donald Trump n’a, sans doute, pas suivi tous ses cours d’économie à la Wharton School. En revanche, un certain nombre de banquiers ont vu dans les annonces du 2 avril un "remake" de la loi Smoot-Hawley de 1930 faite pour soutenir le secteur agricole américain, avec des tarifs douaniers très élevés, mais qui a aggravé la Grande Dépression de 1929, et entraîné sa propagation au reste du Monde. De surcroît même lorsque l’on essaye de chercher un peu de rationalité dans les propos de l’Administration Trump, on a bien du mal à s’y retrouver. Puisqu’un jour, les tarifs douaniers doivent servir à alimenter durablement le Trésor américain. Un autre jour ils sont destinés à financer des baisses d’impôts. Une autre version est qu’ils doivent relancer l’industrie manufacturière américaine. Et l’on évoque aussi, à travers eux, une arme politique ou une tactique diplomatique.

Quelle que soit la réponse, les marchés financiers mondiaux ne semblent plus d’accord avec le qualificatif de "génie stable" que Donald Trump s’est attribué. La crainte d’un effondrement économique général est fondée, même si elle pourrait ne pas se concrétiser. Une guerre commerciale mondiale entraînerait un ralentissement des échanges et un appauvrissement mutuel des principaux blocs économiques mondiaux, ce qui ferait grimper l’inflation et le chômage. Cela se traduirait par une baisse des bénéfices des entreprises, des retours sur investissement et, par conséquent, de la valeur des actions. D’où les multiples références de la presse américaine aux effets des droits de douane Smoot-Hawley, appliqués il y a près d’un siècle, qui ont appauvri le monde et l’ont progressivement conduit vers l’extrémisme politique et la guerre. D’où surtout les ventes massives d’actions, et de manière plus saisissante encore, de bons du trésor.

 

Transhumance de capitaux vers l’Europe

 

Car le mouvement le plus spectaculaire de la semaine passée a été la forte hausse enregistrée mercredi par les rendements des bons du Trésor à 10 ans juste après que Donald Trump a suspendu la majeure partie des taxes qu’il avait annoncé vouloir imposer la semaine précédente et a relevé les tarifs à destination de la Chine. Après cette déclaration, l’obligation à 10 ans s’échangeait à 4,35 %, un niveau toujours bien supérieur aux niveaux récents. Par ailleurs les ventes se sont intensifiées pour les obligations d’État à court terme, le rendement à deux ans bondissant pour atteindre 3,9 %. Dans cette agitation d’autres marchés, considérés comme des alternatives aux États-Unis, ont progressé. Les rendements des obligations d’État allemandes, qui servent de référence pour la zone euro, ont chuté mercredi, signe d’une forte demande. L’angoisse de mercredi a été aggravée par le fait que le dollar américain s’est affaibli.

Valeur refuge par excellence, le dollar a tendance à mieux se porter en période de turbulences sur les marchés. Comme l’a très bien résumé l’ancien secrétaire au Trésor américain Lawrence H. Summers dans un message sur les réseaux sociaux : "les mesures de Donald Trump ont entraîné une aversion généralisée pour tous les actifs américains sur les marchés financiers mondiaux" avant d’ajouter : "Nous sommes traités par les marchés financiers mondiaux comme un marché émergent problématique". Ainsi que Stéphane Boujnah, le patron d’Euronext l’a expliqué à Ouest France il y a quelques jours : "la politique commerciale agressive des États-Unis conduit certains investisseurs à vendre les titres de cette dette souveraine". Et d’expliquer qu’il y a "une vraie transhumance de l’argent placé aux États-Unis vers l’Europe. Plusieurs gestionnaires d’actifs mondiaux considèrent que la volatilité de l’environnement aux États-Unis, et l’incertitude toxique qu’elle entraîne, sont désormais des facteurs structurels. En comparaison, l’Europe apparaît aujourd’hui plus stable, même si elle semble avoir des perspectives de croissance plus faibles. Et encore, certains acteurs anticipent une récession aux États-Unis."

 

"Tous étaient frappés"

 

C’est donc la chute de la dette fédérale américaine, la fuite de capitaux américains vers l’Europe, et donc la baisse du dollar, qui ont poussé Donald Trump à faire machine arrière, sauf avec la Chine. Les craintes d’une récession sévère et durable exprimées par Jamie Dimon, le patron de JP Morgan Chase, sur Fox Business, chaîne que Donald Trump regarde en boucle, pourraient aussi avoir eu un impact important sur le changement de pied du Président américain. Il reste que ce qui s’est passé depuis dix jours a créé une crise de confiance du monde entier à l’égard des États-Unis avec, à la clé, des dommages irréparables, ce qui pourrait signifier une baisse de la demande de dollars et d’actifs libellés en dollars à l’avenir. Il n’est pas impossible que cette semaine ait marqué le début de la fin de la suprématie du dollar.

Comme dans "Les animaux malades de la peste", célèbre fable dans laquelle Jean de La Fontaine écrit : "Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés", les folies trumpiennes auront bien sûr des conséquences sur l’Europe et la France. Dans sa lettre annuelle au Président de la République, remise mercredi dernier, le Gouverneur de la Banque de France parie toujours sur une économie française résiliente cette année avec un taux de croissance de 0,7 % sur lequel, le ministre de l’Économie, Éric Lombard, s’est aussitôt aligné. François Villeroy de Galhau écrit que, selon les analyses convergentes de plusieurs banques, les États‑Unis pourraient faire face à un scénario de stagflation en 2025, avec une baisse de la croissance annuelle de l’ordre d’un point en moyenne et une hausse de l’inflation sous‑jacente du même ordre. Ce choc affectera la croissance en Europe. Selon de premières évaluations, l’impact direct à la baisse sur la croissance du PIB de la zone euro en 2025 serait d’au moins un quart de point de pourcentage. L’impact serait hétérogène entre les pays et les secteurs selon leur degré d’exposition, et relativement moindre en France. En effet, l’exposition des exportations de biens françaises au marché américain (1,7 % du PIB français) est inférieure d’environ 40 % à celle de l’Union Européenne dans son ensemble.

 

En attendant la conférence de presse de Bayrou sur le budget

 

Ursula von der Leyen a pris acte vendredi matin de la suspension provisoire des mesures initiales annoncées par Donald Trump à l’égard de l’Union européenne et s’est dite prête à négocier tout en préparant un arsenal de mesures de ripostes. Il est notamment question de surtaxes contre les entreprises américaines du numérique si les négociations commerciales avec le président américain Donald Trump venaient à échouer. Seraient concernées les recettes publicitaires générées par les géants américains du numérique. Elle entend également être vigilante sur le déversement possible en Europe des produits chinois désormais ciblés aux États-Unis par des droits de douane de 145 %.

Cette crise commerciale a fait renaître une tension entre Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen, le premier trouvant "trop molle" et pas assez "réactive" la présidente de la Commission Européenne. Elle a aussi ravivé une petite guerre entre l’Élysée et Matignon. Le Chef de l’État s’énerve de la passivité de François Bayrou et de son silence. Il aimerait décrocher son téléphone et appeler Donald Trump. Mais tout ce qui relève du commerce est une prérogative exclusive de Bruxelles. Il a été un moment tenté de parler à nouveau aux Français avant d’en être dissuadé par ses conseillers. D’autant que certains réclament un nouveau "bouclier" anti-Trump sur le modèle des 14 milliards d’euros que le gouvernement espagnol vient de débloquer pour aider les entreprises. Dominique de Villepin, prêt à toutes les surenchères, a regretté que personne ne parle "d’un bouclier pour protéger l’économie et les travailleurs français" avant de déclarer : "Est-ce que vous croyez que le choc que nous vivons sur le plan économique n’est pas aussi puissant que celui du Covid ?"

Sans doute l’ancien Premier Ministre n’a-t-il pas encore eu le temps de prendre connaissance de la lettre annuelle du Gouverneur de la Banque de France au Président de la République, dans laquelle notre grand argentier invite à mener un vrai effort de réduction de la dépense publique et notamment des dépenses sociales. De manière à respecter l’engagement d’un déficit ramené, cette année, à 5,4 %. François Villeroy de Galhau écrit qu’on "pourrait admettre transitoirement le jeu des stabilisateurs automatiques s’il y avait in fine une moindre croissance et donc de moindres recettes ; mais des dépenses supplémentaires seraient inefficaces pour la relance et injustifiées." Avant d’expliquer s’agissant de 2026 que "les défis exceptionnels qu’il faut affronter pourraient éventuellement justifier encore certaines mesures fiscales – compte tenu de la perte annoncée des 10,5 milliards de recettes exceptionnelles de 2025 – ; mais l’essentiel de l’ajustement doit cette fois porter sur les dépenses." Gageons qu’il soit écouté par François Bayrou qui présentera, ce mardi, les enjeux, les grands objectifs et le cadre général dans lequel sera élaboré le projet de budget pour 2026.

précédents ÉDITORIAUX
précédents
ÉDITORIAUX

Éditorial / Yves de Kerdrel

Éditorial / Du K.-O. au Chaos

06/04/2025 - 06:30

Éditorial / Yves de Kerdrel

Éditorial / Changement d’ère

30/03/2025 - 06:30

Les chroniques de la semaine
Les chroniques
de la semaine

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Tanger Med s’impose en Méditerranée

12/04/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Droits de douane : le choc

05/04/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Envoyer une force internationale en Ukraine ?

29/03/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Le Golfe s’impose dans la diplomatie mondiale

22/03/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Europe : face aux ennemis, multiplier les partenariats

15/03/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Europe : à nous de jouer

08/03/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Ukraine : vers un autre monde

01/03/2025 - 08:30