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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Changement d’ère
par Yves de Kerdrel

Donald Trump continue d’imposer son tempo au reste du monde avec la mise en place ce mercredi de surtaxes pour les importations de véhicules. Il poursuit de fausses négociations avec Poutine auquel il continue de céder l’essentiel. Et il agite la menace de s’emparer du Groenland par la force. Face à ce bulldozer inquiétant, l’Europe ne parvient toujours pas à apporter une réponse crédible, forte et unie.

30/03/2025 - 06:30 Lecture 11 mn.

Donald Trump l’a promis. Donald Trump le fait. Il agite depuis deux mois la menace de barrières douanières contre ses voisins immédiats, le Mexique et le Canada, mais surtout contre l’Europe. Ce sera chose faite ce mercredi, qu’il a déjà baptisé "le jour de la libération". Pour le reste du monde, ce sera une forme de séisme. Les droits de douane appliqués jusqu’à présent sur les importations de voitures particulières aux États-Unis s’élèvent à 2,5 %. À partir du 2 avril, 25 % supplémentaires seront appliqués. Cette mesure ne va pas toucher que les véhicules fabriqués à l’étranger : les pièces détachées sont aussi concernées.

Les pays européens vont être grandement affectés par cette mesure, car les États-Unis représentent le premier marché à l’export pour les constructeurs du Vieux continent. En 2024, ils ont vendu près de 750 000 modèles outre-Atlantique. L’Allemagne est le pays le plus touché. Si les constructeurs allemands possèdent des usines aux États-Unis, la plupart de leurs modèles haut de gamme sont exportés depuis l’Allemagne ou l’Europe de l’Est. Les marques Audi et Porsche, du groupe Volkswagen, fabriquent toutes leurs modèles hors des États-Unis. Tout comme Mercedes, le groupe allemand BMW exporte des berlines depuis l’Europe. La Slovaquie est également concernée avec un marché américain représentant plus de 6 milliards d’euros pour son secteur automobile. Viennent ensuite l’Italie et la Suède. La France, elle, serait plutôt épargnée. Mais ses constructeurs et ses équipementiers seront frappés à travers leurs usines situées au Mexique, principal pays visé par Donald Trump.

 

Le silence assourdissant de Bruxelles

 

Ce qui est triste, c’est de voir la timidité de l’Europe face à ces annonces. Ursula von der Leyen a dit "regretter" ces surtaxes. Nous voilà bien avancés ! Éric Lombard a affirmé : "c’est un acte qui est évidemment non coopératif". Preuve que les Français aiment les litotes. Même s’il a ajouté que "la seule solution pour l’Union Européenne va être à son tour d’augmenter les tarifs douaniers envers les produits américains. Et la liste est en train d’être établie par la Commission". Son homologue allemand, Robert Habeck a expliqué qu’une "réponse ferme" doit être apportée par Bruxelles.

Le plus incroyable, c’est que face à un président américain qui fait tout ce qu’il a annoncé et qui dit clairement tout ce qu’il entend faire, aucune mesure de rétorsion n’a été préparée à l’avance. Alors que selon la Banque de France une hausse de 25 % des droits de douane américains au deuxième trimestre 2025 pourrait diminuer le PIB de la zone euro d’environ 0,3 % en année pleine. Ursula von der Leyen avait indiqué au début de cette année qu’une cellule de riposte avait été mise en place dès l’été dernier afin de préparer les réponses adéquates au protectionnisme américain. Cette cellule a dû tellement s’étendre sur ses dossiers qu’elle s’est endormie… La naïveté européenne est vraiment confondante et n’augure rien de bon pour la suite.

 

Après les taxes douanières viendra le sujet du dollar

 

Car si chacun regarde midi à sa porte et les conséquences de cette mesure pour ses constructeurs (Stellantis plus que Renault en France, Volkswagen, BMW et Mercedes en Allemagne) et pour ses équipementiers qui ont déplacé beaucoup d’usines au Mexique et au Canada au cours des deux dernières décennies, cette guerre commerciale est l’un des éléments de la volonté d’effacement de l’Europe dont Donald Trump ne parle pas, mais qui semble une obsession pour son entourage. Il suffit de lire les messages – qui n’auraient pas dû fuiter si un journaliste de The Atlantic n’avait été associé à une boucle de la messagerie Signal – du Vice-Président américain J-D Vance se demandant si cela avait vraiment un intérêt de frapper les Houthis et de libérer le passage dans le canal de Suez, dans la mesure où ce dernier sert principalement les intérêts européens.

L’autre personnage redoutable dans l’écosystème de Donald Trump est Stephen Miran. Cet ancien stratège chez Hudson Bay Capital Management, qui a cofondé la société de gestion d’actifs, Amberwave Partners a été nommé par le Président américain à la tête du comité des conseillers économiques de la Maison Blanche. Son obsession est la surévaluation du dollar qu’il considère comme étant la cause principale des déséquilibres commerciaux américains. Il veut donc faire payer aux Européens le prix du fardeau que constitue le statut de "monnaie de réserve" en oubliant que les investisseurs européens détiennent déjà plus d’un tiers des bons du trésor américain.

 

L’empressement de Trump à céder à Poutine

 

Pour l’heure l’Élysée reste focalisé sur le dossier ukrainien et la place que l’Europe peut prendre, sinon dans le règlement du conflit, du moins dans le dispositif d’après le cessez-le-feu. Cela a été l’objet d’une grande réunion de trente chefs d’État et de gouvernement jeudi à Paris, autour d’Emmanuel Macron et du premier ministre britannique Keir Starmer. Tout cela est louable et utile. Mais peut-être faudrait-il aussi s’interroger sur la fascination de Donald Trump pour Vladimir Poutine et son empressement à céder à la plupart de ses exigences ?

En même temps le président américain n’est pas à une contradiction près. Puisque s’il affirme qu’il n’y a rien à craindre de la Russie à l’avenir, il a renouvelé son souhait, au cours des derniers jours, de s’emparer – de gré ou de force – du Groenland, notamment pour des raisons de sécurité nationale. Or cette gigantesque île de l’Arctique est un point d’observation fantastique de tout le trafic maritime (et notamment sous-marin) en provenance de la mer Baltique et des bases situées au nord de la Russie. Et là encore, ce sujet du Groenland fait sourire dans les capitales européennes – sauf à Copenhague – et au sein de l’élite européenne. Alors que c’est un sujet sérieux. Puisque si Donald Trump dit qu’il va s’emparer de ce territoire aussi grand que peu peuplé, il va évidemment le faire. Ce qui entraînera une situation curieuse d’agression entre deux pays membres de l’OTAN.

 

Pas de "quoi qu’il en coûte" pour la défense

 

Un sujet chassant l’autre, il est moins question de défense depuis quelques jours. Et plus personne ne se soucie de savoir ce que devient le plan – très artificiel – de 800 milliards d’euros construit par Ursula von der Leyen afin de réarmer l’Europe. Au Quai d’Orsay, certaines voix divergentes commencent à se faire entendre. D’abord pour veiller à ce que la Pologne et l’Allemagne n’achètent plus de matériel américain. Ensuite pour rappeler que tout cet argent que l’ensemble des pays européens s’apprêtent à investir dans leur défense, ils ne le consacreront pas aux grands défis qui motivent les Américains : l’intelligence artificielle, l’espace et toutes les formes d’énergie. Cela rappelle, d’une certaine manière, cette grande opération de désinformation de l’histoire moderne qu’a été, sous Ronald Reagan "la guerre des étoiles". Un mythe qui ne reposait sur rien, mais qui a poussé l’URSS à investir massivement dans sa défense en sacrifiant ses infrastructures et ses populations. Ce qui a conduit à la fin de l’Empire soviétique annoncé quelques années plus tôt par Hélène Carrère d’Encausse.

Attention donc à ne pas nous laisser embarqués dans une illusion guerrière qui dépasserait nos moyens financiers au moment où l’on apprend que notre dette a dépassé les 3 300 milliards d’euros pour atteindre 113 % du PIB. Comme l’a indiqué François Villeroy de Galhau cette semaine devant la Commission des Finances de l’Assemblée nationale : "la mauvaise nouvelle du retournement américain ne peut devenir une force motrice pour la France et pour l’Europe qu’à une condition : que nous voulions aujourd’hui retrouver la maîtrise de notre destin économique et budgétaire." Avant d’affirmer qu’un "effort pour la défense, légitime, ne peut pas et ne doit pas être le retour du "quoi qu’il en coûte". Et le Gouverneur de la Banque de France d’en appeler au sursaut, persuadé que "ce moment" peut être celui de l’Europe "si et seulement si nous le voulons". Il y a manifestement loin de la coupe aux lèvres !

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