éditorial / Yves de Kerdrel
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Yves de Kerdrel
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Mouvements
par Yves de Kerdrel
Emmanuel Macron retrouve un peu d’oxygène dans les sondages grâce à l’effet-drapeau et alors que François Bayrou multiplie les bourdes. Avant de quitter l’Élysée, Alexis Kohler a obtenu la tête de son ancien patron, Luc Rémont, viré d’EDF après avoir été poignardé par Benoit Bazin. Alors qu’on lui doit le redressement de l’électricien français et la remise en marche du parc nucléaire.
"Nombreux sont ceux qui discutent de la guerre ; mais peu la font." dit le proverbe. Personne ne sait quelle forme prendra la guerre si elle advient, qui elle concernera et ceux qui la mèneront. Mais elle continue d’occuper tous les esprits. Emmanuel Macron a compris tout l’intérêt qu’il avait à surfer "sur l’effet drapeau". Au point d’aller se mettre en scène à Luxeuil-les-Bains sur le tarmac d’une base aérienne, entouré d’aviateurs en treillis et coiffés de calots. Mais ce n’était pas que du théâtre. Puisqu’il a annoncé l’arrivée d’ici 2032 de deux escadrons de chasse formés d’avions Rafale capables de porter le futur missile nucléaire hypersonique, l’ASN4G, à compter de 2035… Donc dans dix ans. Rappelons que l’arme nucléaire tactique est un étage curieux de la dissuasion qui doit permettre au chef de l’État de faire décoller un escadron d’avions porteurs de ces missiles pour mieux négocier avant de les rappeler à leur base sans avoir frappé.
Tout cela profite au Président de la République qui retrouve de la hauteur dans les sondages au point de dépasser la cote de son Premier Ministre. D’autant que ce dernier s’est enferré dans les déboires du "conclave" sur les retraites, que l’affaire nauséabonde de Bétharram lui colle aux basques. Et qu’il doit faire face à des tiraillements au sein de son gouvernement, tant sur le projet de loi contre le narcotrafic que sur celui concernant l’intrusion du prosélytisme religieux dans le sport. S’il est de bon ton de gloser, à nouveau, dans Paris sur une possible censure du gouvernement, personne n’y croit vraiment.
La principale échéance politique à venir est fixée au vendredi 28 mars prochain date à laquelle le Conseil Constitutionnel rendra sa décision sur la Question Prioritaire de Constitutionnalité à propos de l’exécution provisoire pour les mesures d’inéligibilité. S’il fixe une nouvelle doctrine, elle devrait s’imposer de fait au jugement définitif concernant Marine Le Pen dans l’affaire des assistants parlementaires ; jugement qui sera prononcé le 31 mars. Et qui sera déterminant pour la vie politique du pays.
Alexis Kohler sur le départ
Dans les conditions de ce nouvel état de grâce qui entoure l’Élysée, avec les enjeux géostratégiques et militaires qui ont remis Emmanuel Macron en selle, Alexis Kohler, qui va bientôt fêter ses huit ans comme Secrétaire général de la Présidence de la République, devrait en profiter pour faire ses valises. La Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique a bien reçu sa demande lui permettant de rejoindre le secteur privé. Sa destination privilégiée reste la Société Générale, comme numéro deux de Slawomir Krupa. L’arrivée de Jean Maïa à la tête de la HATVP devrait faciliter cette "mobilité professionnelle" du "second cerveau" d’Emmanuel Macron.
La seule question qui demeure sera son statut vis-à-vis de la Banque Centrale Européenne. Puisque toute personne qui prétend assurer un poste de direction effective au sein d’une banque supervisée par la BCE doit disposer de l’honorabilité, des connaissances, des compétences et de l’expérience nécessaires à l’exercice de ses fonctions. C’est ce que l’on appelle la procédure "fit and proper". Or Alexis Kohler est mis en examen depuis le 23 septembre 2022, pour "prise illégale d’intérêts" dans l’affaire dite MSC et placé sous le statut de témoin assisté pour "trafic d’influence". En novembre dernier, la cour d’appel de Paris a confirmé la validité les poursuites le visant. De surcroît son refus de se rendre devant la commission d’enquête sur les dérapages budgétaires pourrait se traduire par des conséquences pénales. Mais tout cela n’a pas grand-chose à voir avec la direction d’une banque.
L’absurde révocation de Luc Rémont
Pour le remplacer, c’est Emmanuel Moulin, ancien directeur du Trésor et ancien directeur de cabinet de Gabriel Attal à Matignon qui est le mieux placé. Ce qui permettrait à Olivier Sichel d’être nommé à la tête de la Caisse des Dépôts pour poursuivre le travail entamé en tandem avec Éric Lombard depuis 2018 et qui porte ses fruits comme en témoignent les résultats historiques de l’Institution de la Rue de Lille pour 2024. Après cela il restera à Emmanuel Macron à trouver un successeur à Jean-Pierre Farandou à la SNCF où l’on s’attend à voir débarquer Jean Castex. Idem pour La Poste où Stéphane Dedeyan l’actuel patron de la Banque Postale semble en bonne position pour succéder à Philippe Wahl.
Mais du côté des entreprises publiques un nouveau front s’est ouvert vendredi avec la révocation sans ménagement de Luc Rémont, le patron d’EDF, en froid avec l’exécutif depuis quelques semaines. Ancien responsable des opérations internationales de Schneider Electric, il a redressé de manière spectaculaire les comptes de l’électricien français, géré sa renationalisation, et surtout remis en marche le nucléaire ; la moitié des réacteurs étaient à l’arrêt ou en révision à son arrivée il y a deux ans et demi. Avec une seule recette : gérer EDF comme une entreprise privée.
L’inélégance remarquée de Benoit Bazin
Mais il s’est battu mordicus pour un relèvement des prix de l’électricité, condition indispensable pour financer le nouveau nucléaire français et notamment l’EPR de Penly. Un message qui n’est pas passé dans la sphère publique et curieusement aussi dans la sphère privée. La diatribe la plus violente à l’égard de Luc Rémont est venue cette semaine de son camarade de Polytechnique (ils étaient à Palaiseau dans deux promotions successives) Benoit Bazin qui s’est insurgé contre la volonté du patron d’EDF de vendre l’électricité par un système d’enchères. Réponse du patron de Saint-Gobain : "On met aux enchères, de manière aberrante, l’industrie française, je suis extrêmement choqué." Avant d’expliquer qu’il s’agit "d’un bras d’honneur à l’industrie française".
Mauvais procès de la part de Benoit Bazin que d’accuser Luc Rémont de "sortie de route" ou de "marcher sur la tête". Le patron de Saint-Gobain, dont les activités photovoltaïques ont été dopées pendant plusieurs années par les prix de rachat très avantageux offerts par EDF – à la demande de l’état – aux producteurs d’électricité solaire, sait très bien à quel point le patron de l’électricien français est soumis à des injonctions contradictoires terribles et que son but n’est pas – évidemment – de saper la compétitivité de l’industrie française.
Le "conclave" en soins palliatifs
Ces excès verbaux témoignent de l’importance de ce débat qui sera abordé demain soir – parmi d’autres sujets - par les membres de l’AFEP lors d’un dîner avec Éric Lombard, le ministre de l’Économie. Ce dernier a demandé à Bernard Fontana, le patron de Framatome, (polytechnicien et ingénieur de l’armement comme Luc Rémont) de prendre les commandes d’EDF après avoir été agréé par les parlementaires. Il reste que Luc Rémont avait acquis une très forte légitimité en interne. Il a redonné ses lettres de noblesse aux agents d’EDF. Il a même rouvert des écoles de formation fermées depuis vingt ans.
Face aux enjeux géostratégiques du moment, il est regrettable de voir l’exécutif passer autant de temps sur des sujets où l’intérêt général devrait permettre de ramener tout le monde à la raison. De la même manière on ne peut que regretter le gâchis du "conclave" auquel le Medef et la CFDT tentent de prodiguer quelques soins palliatifs. La remise en selle des corps intermédiaires – totalement méprisés par Emmanuel Macron depuis 2017 – constituait un élément majeur dans un moment où la notion de compromis retrouve toute son importance. Et quoi qu’on en pense il y avait bien du grain à moudre dans ces discussions sur les retraites. Ne serait-ce que sur les sujets de pénibilité et de carrière longue. Tout cela sans creuser les déficits, sans remettre en cause la réforme Borne et sans créer un fardeau pour les générations futures. Ce qui donne raison à l’adage suivant lequel "le bon sens réunit souvent la majorité… mais contre lui".
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